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LES PURITAINS D’ÉCOSSE

que vous entendîtes dans le vallon de Bengonnar, de la bouche de Richard Rumbleberry, ce jeune martyr qui a souffert pour la foi à Grassmarket[1] avant la Chandeleur dernière ! Ne vous disait-il pas que l’érastianisme valait aussi peu que le prélatisme, et la tolérance que l’érastianisme ?

— A-t-on jamais entendu pareille chose ? s’écria Cuddy. Vous avez donc juré de nous faire encore chasser. Ma mère, je n’ai plus qu’un mot à vous dire : si vous tenez encore un pareil jargon, devant quelqu’un s’entend, parce que quand nous sommes seuls cela m’est égal, il ne fait que m’endormir ; mais si vous recommencez devant le monde, je me fais soldat, et je deviens sergent ou capitaine un jour, vous laissant aller à tous les diables avec Rumbleberry.

Mause gémit sur la dureté du cœur et l’impénitence de son fils ; mais elle n’osa pas continuer la discussion. Elle se rappelait le caractère de feu son mari, dont Cuddy était le portrait vivant, qui, lorsqu’on le poussait à bout, manifestait une obstination indomptable. Craignant donc qu’il n’exécutât sa menace, elle résolut de mettre un frein à sa langue. Un incident imprévu vint la délivrer de cette gêne.

Le laird de Milnwood conservait scrupuleusement ceux des anciens usages qui s’accordaient avec son économie. Il admettait donc comme c’était la coutume en Écosse cinquante ans auparavant, tous ses domestiques à occuper le bout inférieur de sa table. Le lendemain de l’arrivée de Cuddy, l’heure du dîner ayant sonné, le vieux Robin, qui était sommelier, valet de chambre, cocher, laquais, plaça sur la table une immense jarre remplie d’eau chaude épaissie avec un peu de gruau d’avoine, renforcée de quelques choux, et où nageaient quelques morceaux de mouton maigre. Ce plat, qui composait tout le premier service, était flanqué d’un grand panier de pains faits avec de l’orge et des pois, et d’une immense pyramide de pommes de terre. Un saumon bouilli succéda ; mais il ne faut pas regarder ce poisson comme un objet de luxe : à cette saison de l’année il était si commun dans les rivières d’Écosse, qu’il ne coûtait que la peine de le pêcher ; et certains domestiques, avant d’entrer dans une maison, avaient soin de stipuler qu’on ne leur en ferait pas manger plus de cinq fois par semaine. Un énorme kebbock, fromage de lait de vache et de chèvre, et un pot de beurre salé, complétaient l’ordinaire, qui était arrosé de petite bière brassée à la maison. Tous les serviteurs pouvaient se régaler à discrétion de cette bonne chère, excepté cependant du mouton,

  1. Place des exécutions à Édimbourg.