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LE NAIN NOIR

descendait et que son compagnon recevait le même service du garçon d’écurie. Enfin mon hôte, saluant le fermier, lui demanda :

— Eh bien ! quelles nouvelles des montagnes du sud ?

— Mauvaises, si nous pouvons sauver les brebis, ce sera beaucoup ; quant aux agneaux, il faudra les laisser aux soins du Nain noir.

— Oui, oui, ajouta le vieux berger (car c’en était un) en hochant la tête, le Nain aura beaucoup à faire avec les morts ce printemps.

— Le Nain noir ? dit mon savant ami et patron Jedediah Cleishbotham ; quel personnage est-ce là ?

— Vous devez avoir entendu parler du bon Elshie, le Nain noir… Chacun raconte son histoire ; mais ce ne sont que des folies, et je n’en crois pas un mot depuis le commencement jusqu’à la fin.

— Votre père y croyait bien, dit le vieux berger.

— Sans doute, Bauldie : on croyait alors à tant de choses auxquelles on ne croit plus aujourd’hui !

— Tant pis, reprit le vieillard ; votre père aurait été bien contrarié de voir démolir sa vieille masure pour faire des murs de parc ; et ce joli tertre couronné de genêts où il aimait tant à s’asseoir au coucher du soleil, pour voir revenir les vaches du loaning[1]… pensez-vous que le pauvre homme serait bien aise de voir son joli tertre bouleversé par la charrue comme il l’a été depuis sa mort ?

— Allons, Bauldie, prends ce verre que t’offre l’hôte, répondit le fermier, et ne t’inquiète plus des changements dont tu es témoin.

— À votre santé, Messieurs, dit le berger : puis, après avoir vidé son verre, il continua : — Ce n’est pas, certes, à des gens comme nous qu’il appartient de juger, mais c’était un joli tertre que le tertre des genêts, et un bien brave abri dans une matinée froide.

— Oui, dit le maître ; mais vous savez qu’il nous faut avoir des navets pour nos longues brebis, mon camarade, et que pour les avoir ces navets, il nous faut travailler rudement avec la charrue et la houe ; ça n’irait guère bien de s’asseoir sur le tertre des genêts pour y jaser du Nain noir, et autres niaiseries, comme on faisait autrefois lorsque c’était le temps des courtes brebis.

— Oui bien, oui bien, maître, dit le serviteur ; mais les courtes brebis payaient de courtes rentes, à ce que je crois.

Ici mon respectable et savant patron s’interposa de nouveau, et remarqua qu’il n’avait jamais pu apercevoir aucune différence matérielle, en fait de longueur, entre une brebis et une autre ; remarque qui occasionna un grand éclat de rire de la part du fermier et un air d’étonnement de la part du berger. — C’est la

  1. On appelle loaning un endroit découvert, près de la ferme, où l’on trait les vaches.