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Le Nain Noir

Cependant Annaple, avec un visage aussi triste qu’un recueil de tragédie, s’était traînée jusqu’à lui et avait saisi son cheval par la bride. Le désespoir était si bien peint dans ses regards qu’il ôta tout pouvoir de lui en demander la cause. « Ô mon enfant, s’écria-t-elle, ne va pas plus loin ; ne va pas plus loin, c’est un spectacle à faire mourir, non pas seulement pour toi, mais pour qui que ce soit !

— Au nom de Dieu ! Annaple, qu’est-ce qu’il y a donc ? » demanda le cavalier stupéfait, et cherchant à dégager la bride de la main de la vieille femme ; « pour l’amour du ciel laissez-moi aller voir ce qu’il y a.

— Hélas ! dit-elle, faut-il que j’aie été témoin d’un jour comme celui-ci ! La ferme est à bas ; la jolie bergerie n’est plus qu’un monceau de cendres, et tout le troupeau a été emmené. Mais ne va pas plus loin ; ton jeune cœur se briserait, mon enfant, si tu voyais ce que mes pauvres yeux ont vu ce matin.

— Et qui a osé faire cela ? Lâche la bride, Annaple ; où est ma grand’mère ? où sont mes sœurs ? où est Grâce Armstrong ? Ciel ! les paroles du sorcier retentissent encore à mon oreille. »

Il sauta à bas de son cheval pour se débarrasser de l’obstacle que lui imposait Annaple, et, montant rapidement la colline, il se trouva bientôt en présence du spectacle dont elle l’avait menacé. C’en était un en effet bien capable de briser le cœur. L’habitation qu’à son départ il avait laissée dans son lieu primitif d’isolement, près du ruisseau qui descendait de la montagne, entourée de toutes les marques d’une abondance produite par la culture, n’était plus qu’un monceau de ruines noircies par l’incendie. On voyait encore la fumée qui sortait du milieu des décombres entourés de quelques débris de murailles. La grange à fourrages, celle à grains, les étables où il renfermait ses nombreux troupeaux, tout ce qui composait la richesse d’un cultivateur d’alors avait été dévasté