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Isabelle Vère

— Ce ne peut être le jeune Earnscliff, que vous voulez désigner, Lucy », dit miss Vère dont le visage se couvrit d’une forte rougeur.

« Qui donc voudrais-je dire ? répliqua Lucy ; les Jaffier et les Pierre sont rares dans ce pays-ci, quoiqu’il devienne facile d’y trouver un assez bon nombre de Renault et de Bedamar.

— Comment pouvez-vous parler d’une manière aussi folle, Lucy ? Vos pièces de théâtre et vos romans vous ont positivement tourné la tête. Vous ne connaissez pas d’ailleurs les inclinations de M. Earnscliff ni les miennes ; vos conjectures et vos idées bizarres ont pu seules les suggérer ; et mon père, sans le consentement duquel je ne voudrais pas me marier, ne consentirait jamais… indépendamment de tout cela, il y a la fatale querelle.

— Lorsque son père fut tué ? répliqua Lucy. Mais il y a très-longtemps de cela, et j’espère que nous ne vivons plus dans ces temps d’animosités féroces, où une querelle entre deux familles se transmettait de père en fils, comme une partie d’échecs en Espagne, et où il se commettait un meurtre ou deux à chaque génération, seulement pour empêcher l’affaire de s’assoupir. À l’égard de nos querelles nous en agissons de même maintenant que pour nos vêtements ; nous les taillons à notre mode, et les usons de notre temps ; et nous ne songeons pas plus à venger les querelles de nos pères qu’à porter leurs pourpoints et leurs hauts-de-chausses tailladés.

— Vous traitez ceci beaucoup trop légèrement, Lucy, dit miss Vère.

— Pas du tout, ma chère Isabelle. Considérez que, bien que votre père fût présent à cette malheureuse affaire, on n’a jamais cru que ce fût lui qui porta le coup fatal. D’ailleurs, dans les anciens temps, lorsqu’il survenait des massacres entre les clans, les alliances subséquentes étaient si loin d’être impossibles, que la main d’une fille ou d’une sœur était