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Isabelle Vère

bruyère ; ses yeux blessent le cœur de l’amant ; il ne reste plus aucune chance pour ses compagnes et ses cousines ; le magicien lui-même n’a pu résister au pouvoir entraînant de ses charmes. Par pitié, ma chère Isabelle, vous devriez cesser d’accaparer à ce point-là, ou du moins établir un magasin et vendre à l’une et à l’autre tout ce que vous n’avez pas l’intention de garder pour votre propre compte.

« Je vous céderai tout, répliqua miss Vère, et le magicien avec, à très-bon marché.

— Non, Nancy aura le magicien, dit miss Ilderson, pour suppléer au déficit ; elle n’est pas tout à fait sorcière elle-même, vous savez bien.

— Ah ! bon Dieu, ma sœur, dit la jeune miss Ilderson, que ferais-je d’un monstre aussi effroyable ? J’ai fermé les yeux, après lui avoir jeté un seul regard, et je vous proteste qu’il me semblait que je le voyais encore, bien que je tinsse mes paupières aussi serrées que je le pouvais.

— C’est dommage, répondit sa sœur ; souvenez-vous toujours, Nancy, de choisir un admirateur dont les défauts disparaissent en fermant les yeux dessus. Eh bien ! dans ce cas, je m’imagine qu’il faut que je le prenne moi-même, et que je le mette dans le cabinet où maman tient ses curiosités du Japon, afin de montrer que l’Écosse peut produire un specimen d’argile mortelle, façonnée de manière à lui donner une forme dix mille fois plus affreuse que celles que les imaginations de Canton et de Pékin, toutes fertiles qu’elles sont en représentations de monstres, ont immortalisées sur la porcelaine.

— Il y a quelque chose de si triste dans la situation de cet homme, dit miss Vère, que je ne puis, ma chère Lucy, partager votre gaieté aussi volontiers que de coutume. S’il est sans ressources, comment pourra-t-il subsister dans ce vaste désert, éloigné comme il l’est de tout secours humain ? Et s’il parvient à s’en procurer quelques-uns accidentellement,