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Isabelle Vère

chait à déguiser sa frayeur, demanda au Nain s’il voulait lui dire la bonne aventure. La troisième, qui était la mieux montée, la mieux habillée, et sans contredit celle des trois qui avait la meilleure tournure, s’avança, comme pour réparer l’incivilité de ses compagnes.

« Nous avons perdu la bonne voie à travers ces lieux marécageux, et nous sommes restées en arrière de notre compagnie, dit la jeune personne ; vous voyant, mon père, à la porte de votre maison, nous avons tourné de ce côté-ci, pour…

— Chut ! interrompit le Nain ; si jeune, et déjà si artificieuse ! Vous êtes venue, et vous ne le savez que trop, pour jouir du triomphe de votre jeunesse, de votre opulence et de votre beauté, par le contraste de la vieillesse, la pauvreté et la difformité. Cette conduite est digne de la fille de votre père ; mais elle convient bien peu à la fille de votre mère !

— Avez-vous donc connu mes parents, et me connaissez-vous ? demanda la jeune dame.

— Oui, répondit le Nain ; voici la première fois que vous avez frappé mes yeux éveillés, mais je vous ai souvent vue dans mes rêves.

— Dans vos rêves ?

— Oui, Isabelle Vère, répliqua le Nain ; qu’est-ce que toi ou les tiens ont à démêler avec moi quand je veille ?

— Quand vous veillez, monsieur », dit l’une des compagnes de miss Vère avec une sorte de gravité moqueuse, « vos pensées sont fixées sans doute sur la sagesse : la folie ne peut probablement s’introduire chez vous que pendant vos moments de sommeil ?

— Pendant les tiens », répliqua le Nain, d’un ton plus atrabilaire qu’il ne convenait à un philosophe ou à un ermite, « la folie exerce continuellement sur toi un empire illimité, éveillée ou endormie.

— Dieu nous bénisse ! dit la dame, c’est un prophète bien certainement.