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le plus magistral que j'ai connu parmi les très grands maîtres qu'il m'a été donné d'entendre... Un des aspects (les plus) impressionnants fut pour moi la sûreté et la puissance avec laquelle le maître utilisait l'outil mathématique. Avouerai-je que nous, mathématiciens, avions souvent à apprendre de Langevin. Et, à travers cette précision scientifique, on sentait une flamme, flamme alimentée par l'amour de la science, mais dont le rayonnement faisait, à travers le savant, deviner l'homme que nous avons connu, pénétré de toutes les idées générales et généreuses".

Parallèlement à ce haut enseignement du Collège, Paul Langevin en accepte d'autres plus classiques: en 1905, il remplace Pierre Curie dans le cours d'électricité générale là où il prendra bientôt la direction des études. Et peu après, il se dévoue pour aller chaque semaine jusqu'à Sèvres où, aux élèves de l'Ecole normale supérieure de jeunes filles, il révèle les beautés insoupçonnées d'une physique dont elles ne connaissaient que l'énoncé de lois bien dépourvues d'attrait.

"Ma joie d'enseigner, dira-t-il à la fin de sa vie, n'a jamais été plus grande qu'à l'Ecole de Sèvres où, pendant plus de vingt-cinq ans, j'ai profondément ressenti avec quelle ferveur ces auditoires de jeunes filles accueillaient les idées nouvelles et reconnaissaient, par une attention soutenue, les efforts faits pour leur ouvrir les portes du temple de la science un peu plus largement que ne le prévoyaient les programmes officiels[1]."

Mais devant cette ferveur se douta-t-il jamais, dans sa modestie extrême, de tout ce qu'ajoutait, au don spirituel de son enseignement, ce charme personnel auquel furent sensibles tous ceux qui l'approchèrent, et plus particulièrement les âmes féminines. C'est ce que Madame Cotton[2] exprimera en ces termes:

"De leur maître Paul Langevin, les élèves de Sèvres gardent un souvenir impérissable... Les images préparaient les raisonnements dans une langue élégante et claire, servie par une admirable diction... Sans notes, la main gauche dans sa poche, (il) couvrait peu à peu le tableau de calculs impeccables, disposés avec une élégance qui faisait notre admiration. On avait, en suivant cette belle ordonnance des équations, cette voix si bien timbrée et ce regard profond..., le choc intérieur qui révèle la perfection."

Il est certes aisé de comprendre que toute une lignée de grands physiciens français soit née sur ces bancs d'Ecoles ou sur ceux du vieil amphithéâtre qui, pendant tant d'années, furent témoins d'un tel enseignement. Parmi les disciples, un Joliot, un Louis de Broglie, pour ne citer que les plus notoires... Mais combien faut-il regretter que presque rien n'ait subsisté de ces admirables leçons! Combien plus vivante que tous les traités classiques serait cette histoire de la physique

  1. Allocution de Paul Langevin au Jubilé du 3 mars 1945.
  2. Epouse d'Aimé Cotton, condisciple de Paul Langevin à l'ENS. Elle était alors agrégée préparatrice à Sèvres, où elle fut plus tard directrice jusqu'à l'occupation nazie. Paul Langevin maître de conférences à l'ENS de Sèvres, La Pensée, numéro cité, page 41.