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Toute la première partie de ces travaux, celle qui concerne l'étude de la mobilité, de la recombinaison et de la diffusion des ions gazeux dans des conditions variées de température et de pression, fut réunie en 1902 en une thèse de doctorat qui classa d'emblée le jeune physicien parmi les meilleurs de l'époque. Joseph John Thomson, à qui il avait dédié cette thèse, dira de ce beau travail en remerciant son auteur: "C'est un merveilleux spécimen de l'union de la science et de l'art". Il avait fallu en effet à Paul Langevin, en ces temps héroïques où l'équipement des laboratoires était des plus rudimentaires, des miracles de patience et d'ingéniosité pour effectuer, avec des appareils aussi peu fidèles que peu précis, les plus délicates expériences d'électrométrie. De plus, chose exceptionnelle, tous les résultats étaient analysés de manière approfondie du point de vue théorique.

Dès sa soutenance, cette brillante thèse fait appeler le jeune physicien, par le professeur Mascart, à le suppléer au Collège de France, où il lui succèdera en 1909 dans la chaire de physique expérimentale. En cette maison de très haute culture, où tout enseignement porte chaque année sur les plus récents travaux du professeur titulaire ou sur des sujets connexes, Paul Langevin s'affirme très vite comme un professeur aux dons d'enseignement hors de pair. Edmond Bauer[1] évoquera plus tard ce premier cours en ces termes:

"Non seulement les idées théoriques étaient exposées d'une façon lumineuse, mais encore toutes les expériences de recherche étaient (re)faites au cours devant nous: toutes les mesures, celles de la mobilité, du coefficient de diffusion des ions, de la charge absolue d'un ion (la première mesure qui a permis d'atteindre le nombre d'Avogadro d'après Wilson et Joseph John Thomson) étaient effectuées sans truquage. C'était extraordinaire!"

Devant un auditoire intensément attentif de physiciens, de mathématiciens, de philosophes, dont certains sont ses collègues et souvent ses aînés, il développe avec une générosité totale le détail de ses travaux personnels — dont il ne publie qu'une faible partie — et fait en même temps, année après année, la mise au point magistrale des plus récents progrès de la physique. Voici l'émouvant témoignage qu'une fois révolu ce cycle de près de quarante années, en donnera celui qui, de tous les auditeurs, y avait été le plus fidèlement assidu, le grand mathématicien Jacques Hadamard[2]:

"Par Langevin et — je puis dire — par lui seul, (nous avons) été tenus au courant de la marche, ou plutôt de la course folle de la physique contemporaine... Cet enseignement fut peut-être

  1. Préparateur, puis sous-directeur du laboratoire de Paul Langevin au Collège de France, plus tard professeur à la Sorbonne. Bulletin de la Société française de physique, janvier 1964.
  2. Jacques Hadamard, Paul Langevin au Collège de France, La Pensée numéro 12, 1947, page 31.