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bien significatif de la grande unité qui caractérise l'oeuvre et la vie d'un des esprits les plus profonds et les plus généreux de tous les temps.

Il y brosse un résumé de l'histoire des sciences dans leurs rapports avec les civilisations, et insiste longuement sur l'impérieux devoir qui s'impose désormais au savant de veiller à ce que ses découvertes ne soient plus utilisées à des fins destructrices, mais mises à la disposition de tous les hommes pour diminuer leur peine, accroître leurs loisirs et élever leur culture. Parmi les faits à retenir de cette ultime période, rappelons pour terminer le Jubilé de l'illustre savant, qui fut célébré le 3 mars 1945, sous l'égide de l'« Union française universitaire », par tous ses amis et admirateurs réunis dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne. A cette cérémonie qui, malgré l'affluence, gardait un caractère intime, prirent part plus de quatre-vingt délégations représentant des millions de travailleurs intellectuels et manuels du monde entier. De nombreux télégrammes et messages arrivèrent aussi, de Londres, de Moscou, de Pékin. Il s'y trouva des signatures d'enfants d'écoles maternelles et de leurs éducatrices, aussi bien qu'une lettre touchante du vieux maître de l'Ecole normale supérieure, Marcel Brillouin, retenu au loin par ses quatre-vingt-dix ans. Après les allocutions et la lecture des messages, Paul Langevin, très ému, prit la parole pour exprimer à tous sa gratitude, évoquant les souvenirs de son existence, d'abord l'atmosphère familiale de son enfance, puis ses maîtres et ses amis les plus chers, disparus ou présents ; enfin, brièvement, les étapes de la carrière au cours de laquelle il avait connu « les grandes joies de comprendre, d'enseigner et d'agir » : toutes joies que, sa vie entière, il s'était voué à rendre accessibles au plus grand nombre. Exprimant encore sa confiance en l'avenir de l'effort humain, il termina ainsi : « Cette confiance m'a constamment soutenu dans l'épreuve. Elle doit inspirer et soutenir notre volonté de défendre contre toute agression le trésor de culture et de civilisation lentement, douloureusement accumulé par nos ancêtres au cours des siècles sans nombre, et de le transmettre à nos enfants en y ajoutant toujours « UN PEU PLUS DE SCIENCE, UN PEU PLUS DE JUSTICE ET UN PEU PLUS D'AMOUR »[1]. Cet ultime message, il le renouvellera quelques heures seulement avant de s'éteindre à l'aube du 19 décembre 1946. A un petit nombre de fidèles compagnons de lutte admis quelques instants à son chevet, un dernier éclair illuminant ses yeux affaiblis, il adressa ces mots aussi ardemment qu'il le put: « La bonté... la bonté... pour la justice... par la science ».

On lui fit des funérailles nationales. Du Collège de France, à l'entrée duquel une chapelle ardente avait été dressée, un long cortège

  1. Hommage à Paul Langevin, édité par l'Union française universitaire, mai 1945.