Page:Scientia extract from the march-april may-june 1973 issue (Le savant hors de sa tour d’ivoire).djvu/28

Cette page n’a pas encore été corrigée


En 1942, une épreuve cruelle atteint Paul Langevin : sa fille et son gendre Jacques Solomon, surveillés depuis de longs mois par la Gestapo comme résistants et communistes, sont arrêtés. Après quelques semaines, Jacques Solomon est fusillé, sa femme déportée à Auschwitz. C'est un coup terrible pour cet homme de soixante-dix ans dont le coeur a besoin de ménagements. Pourtant, en dépit de l'angoisse qui l'étreint, il conserve intacte sa confiance en des jours meilleurs, et sa patience reste inaltérable. Mais son pas alerte s'est ralenti, et il doit désormais éviter toute fatigue.

Le temps passe. La défaite allemande s'annonce proche ; mais le risque grandit pour le savant qui peut, au dernier moment, représenter un otage de choix. Au printemps de 1944, des amis organisent sa fuite. Après une dernière signature, muni d'une carte d'identité au nom de Léon Pinel (son grand-père maternel), il prend le train pour Paris où il passe deux jours incognito. Puis le groupe de résistants qui l'a pris en charge le conduit jusqu'en Suisse, où il retrouve enfin la liberté dont il était privé depuis plus de quarante mois. Hébergé chez un collègue, honoré bientôt d'une pension du gouvernement helvétique, il jouit de l'air bienfaisant de ce paisible pays, et y rencontre bien des amis : entre autres, Irène Joliot-Curie et ses enfants, réfugiés à Genève, et Paul Dupuy, son ancien sous-directeur de l'Ecole normale supérieure, vieil homme qui avait gardé de cet exceptionnel cacique un souvenir touchant. Chaleureusement accueilli quelques jours au sanatorium universitaire de Leysin (Vaud), il y retrouve avec bonheur un tableau noir, pour la joie des jeunes convalescents auxquels il donne deux passionnantes conférences. Cependant, les communications avec la France sont difficiles, et les nouvelles privées restent rares jusqu'à la fin.

La Libération de Paris, le 21 août 1944, marque une date décisive pour les réfugiés français. Mais de l'autre côté de la frontière, les partisans livrent de durs combats, et Paul Langevin doit attendre un mois encore avant de fouler le sol national. Accueilli alors avec enthousiasme par les maquisards en armes, l'émotion qui l'étreint en cette minute est si forte qu'il peut à peine parler le long du trajet vers Annecy où, après lui avoir rendu les honneurs militaires, les francs-tireurs de Haute-Savoie lui font une chaleureuse réception. Le lendemain, après un arrêt à Lyon où il accepte de prononcer une brève allocution à la radio, on fait sur sa demande un détour par Troyes où il tient à embrasser ses amis... qui ne le reverront plus dans leur ville. Au lendemain de son retour dans la capitale, son premier acte public est de s'inscrire au Parti communiste, « pour y remplacer », dit-il, son « fils spirituel » Jacques Solomon : décision qui entraînera