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la fondation d'un groupe d'abord attaché surtout à la « défense de la liberté intellectuelle », mais qui ensuite s'orienta davantage vers la défense contre le fascisme montant. Lors d'un des voyages qu'il fit à Londres en cette période, il eut un long entretien avec Winston Churchill, et réussit à convaincre l'illustre Premier de l'imminence du danger qui pesait sur les Alliés. Cette tension continuelle, ces luttes, délibérées certes, mais pour lesquelles il n'était point fait, commençaient de porter sérieusement atteinte à sa santé, notamment du côté cardiaque. Les tâches du savant, cependant, demeuraient impérieuses, et il devait prendre sur ses nuits pour lire les nombreux et difficiles mémoires qui continuaient de paraître, et poursuivre son enseignement au Collège de France ainsi que la bataille du déterminisme. Mais il n'a plus le temps matériel d'accorder aux questions théoriques d'assez mûres réflexions pour y apporter des contributions personnelles ; et ce demi-abandon, vivement déploré par ses élèves, le place devant un constant et douloureux dilemme. Après avoir assuré avec tout le soin nécessaire la publication des rapports du brillant Conseil Solvay de 1933, il assumait avec peine le lourd travail de préparation de celui de 1936, mais bien des défections s'annonçaient, et l'on dut décider de l'ajourner à 1939. Tous les rapports furent préparés et transmis ; mais le terrible conflit éclata près de la date fixée pour les réunions : et ces travaux ne furent publiés qu'après le Conseil de 1948, présidé par Frédéric Joliot plus d'un an après la disparition de son maître.

1939-1940. En France, pendant plusieurs mois, c'est la « drôle de guerre ». Après la signature du pacte germano-soviétique, le Parti communiste français est interdit, ses députés privés de leur mandats ; un certain nombre d'entre eux sont arrêtés et mis au droit commun. Quelques mois plus tard, lors de leur procès, Paul Langevin vient courageusement à la barre apporter un éclatant témoignage en leur faveur ; car il a souvent approuvé leur action pour la justice et pour la paix. Il s'est d'ailleurs peu à peu rapproché de leurs positions aussi du point de vue idéologique, en partie sous l'influence de son gendre Jacques Solomon, jeune et brillant physicien marxiste qui avait approfondi l'étude du matérialisme dialectique et s'en entretenait souvent avec son beau-père. Et celui-ci, qui avait toujours eu une instinctive défiance à l'égard des systèmes philosophiques, était frappé de constater combien la connaissance de la dialectique éclairait l'évolution de sa propre science, où « chaque contradiction ou opposition surmontée se traduit par un enrichissement nouveau »[1]. Cette évolution l'amènera quelques années plus tard à donner son adhésion au Parti communiste.

  1. Matérialisme mécaniste et matérialisme dialectique, discours prononcé le 10 juin 1945 à l'occasion du deuxième centenaire de l'Encyclopédie, publié dans La Pensée, numéro cité, page 8.