Page:Scientia extract from the march-april may-june 1973 issue (Le savant hors de sa tour d’ivoire).djvu/22

Cette page n’a pas encore été corrigée

posaient aux dirigeants des problèmes fort complexes.

Appréciant les efforts déjà accomplis, il conseille avec bienveillance bien plus qu'il ne critique ; et la mission, d'un commun accord, recommande de préserver, au travers des indispensables progrès techniques, les dons remarquables qui se manifestent dans toute la jeunesse, jusque dans les campagnes les plus reculées. Là, Paul Langevin est particulièrement sensible à l'atmosphère de joyeuse confiance qui règne entre les enfants et leurs maîtres, malgré les conditions fort difficiles qui exigent de ceux-ci une véritable abnégation. Il admire intensément la beauté des grands paysages de Chine et tous les trésors d'art accumulés au cours des siècles ; et, recevant partout les marques de l'exquise politesse chinoise, il apprécie plus encore, peut-être, la richesse intellectuelle et morale de cette vieille civilisation pleine de sagesse, avec laquelle il se sent en affinité profonde car les vertus fondamentales en sont celles qui concernent les relations entre les hommes. Ne dédaignant rien de ce que la vie offre de bon, il goûte en fin gastronome la cuisine chinoise, qui lui semble aussi raffinée que la nôtre. Il a été tellement séduit par l'admirable ville de Pékin qu'il accepte avec joie, à la fin de la mission, d'y retourner passer un mois pour donner des conférences. Un seul point noir dans ce beau ciel de Chine : le déchaînement de barbarie que constituent les attaques japonaises sur les grands ports, en la présence impassible des navires d'Occident. Là-devant, son indignation est profonde, et il ne l'oubliera jamais. Ce voyage fut le dernier que Paul Langevin put accomplir au loin à des fins purement culturelles, et dont il goûta encore pleinement la joie... au point de souhaiter le renouveler en emmenant ses enfants et ses meilleurs amis!

A son retour en Europe, au début de 1932, le climat s'était déjà assombri, et devait lui laisser de moins en moins de liberté d'esprit. Cette mission en Chine lui avait donné l'occasion de préciser encore sa pensée sur la culture générale, les humanités et le rôle social de la science, sujets qu'il développa par la suite dans maints articles et conférences. Il reviendra souvent sur cette idée que le grave déséquilibre de la vie collective tient au retard qu'a pris la Justice sur la Science:

"Les Grecs, qui avaient fait de Minerve la déesse commune à ces deux aspects de l'effort humain, voulaient sans doute signifier par là, que l'un ne va pas sans l'autre, et que l'humanité souffre dès que les moyens d'action créés par la science ne sont pas exclusivement mis au service de la Justice"[1].

Quels que soient les effroyables moyens de destruction fournis par la technique, il ne s'agit donc pas d'enchaîner la Science comme le fut Prométhée pour avoir donné le feu aux hommes, mais au contraire de poursuivre les progrès qu'elle a permis dans bien des domaines, et de s'inspirer de son esprit et de ses méthodes pour créer

  1. Allocution de Paul Langevin au Jubilé du 3 mars 1945.