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Parallèlement à cette théorie explicative, une construction purement abstraite de Heisenberg interprétait complètement les raies spectrales par les valeurs propres des matrices infinies. Mais en même temps, cet auteur, analysant la perturbation produite par toute mesure sur le phénomène mesuré, montrait que cette action, négligeable à notre échelle, prend au niveau de l'atome des proportions considérables, puisqu'elle peut aboutir à l'expulsion d'un électron par un seul photon. Heisenberg en déduisait que l'« observation » des phénomènes intra-atomiques n'a aucun sens expérimental, et il énonçait son « principe d'indétermination » : le comportement individuel des corpuscules échappe à toute prévision. Dans les discussions véhémentes de 1927 et dans celles qui suivirent, le monde savant se trouva dès lors divisé en deux camps : celui des « idéalistes », dont Bohr, Dirac, Pauli (avec les philosophes Jeans et Eddington), tenants du « libre-arbitre » des électrons — et, par extension, de toute la nature! —, et celui des « matérialistes » dont les plus éminents étaient Lorentz, Einstein et Paul Langevin, convaincus, selon l'expression de ce dernier, que « le réel préexiste » en dehors de toute image conçue par notre esprit à chaque étape de l'expérimentation. Paul Langevin se lance alors résolument dans la « bataille du déterminisme ». A ses cours sur la mécanique ondulatoire et la physique quantique assistent à nouveau souvent des philosophes ; et il fait aussi de nombreuses conférences dans lesquelles il développe son point de vue sur ce problème si fondamental : nous devons faire l'effort de nous abstraire de la notion anthropomorphique d'« objet », de renoncer à concevoir comme tels les « soi-disant corpuscules » intra-atomiques ; dans ce domaine nouveau, seuls les états stationnaires de la mécanique ondulatoire peuvent être individualisés, ainsi que le confirme le succès des nouvelles statistiques de Bose-Einstein et de Pauli-Fermi, dans lesquelles les diverses particules correspondant à un même degré d'excitation de l'atome sont considérées comme indiscernables. Selon les propres termes de Paul Langevin : « on ne saurait suivre dans son comportement un objet qui n'existe pas, et encore moins le considérer comme libre »!

Dans la ligne de cette foi en « l'intelligibilité du monde, ressort essentiel de la science », Paul Langevin fondait en 1930 avec le doyen Henri Roger l'Union rationaliste, dont le but était de « défendre au grand jour les droits de la raison (et de) propager la confiance dans l'effort scientifique et le progrès humain ». Il fit dans les années trente plusieurs importantes conférences, dont une série inaugurale très remarquable précisément sur « La Science et le déterminisme » : nous n'en possédons malheureusement que nos notes personnelles incomplètes. A la mort de Henri Roger en 1938, il devait lui succéder à la présidence de cette association, qu'il anima à nouveau après la guerre.