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spéciales avaient dû être prises pour le protéger des trublions acharnés de l'Action française[1].

L'année suivante, Paul Langevin fit preuve d'un courage civique plus grand encore en acceptant d'aller à Berlin pour prendre la parole, au côté d'Einstein, dans des meetings socialistes. Cela leur fut d'ailleurs interdit à tous deux par le préfet de police de la ville ; mais Paul Langevin put faire lire en sa présence la traduction de ses interventions. Sur le plan scientifique, il rencontrait des difficultés analogues du côté de l'administration Solvay où, malgré sa notoriété grandissante, il ne réussit à faire inviter Einstein qu'au deuxième colloque d'après-guerre, en 1924. Mais les théories physiques se développaient dans tous les pays à un rythme si rapide qu'une confrontation générale devenait indispensable ; et l'on dut en 1927 réunir à nouveau l'équipe internationale toute entière. Ce fut l'un des Conseils les plus importants, et les discussions y furent particulièrement animées sur la nouvelle grande crise de la physique, celle des quanta, alors en pleine évolution. La notion de quantum introduite en 1900 par Max Planck pour interpréter les lois expérimentales de l'équilibre thermique à l'intérieur d'un four, et celle de photon — ou corpuscule de lumière — proposée par Einstein en 1905, se trouvaient en contradiction flagrante avec la théorie électromagnétique classique, domaine du continu, et avaient engendré une double série de travaux qui devaient aboutir à une synthèse nouvelle. Des vérifications expérimentales aussi frappantes que l'effet Compton confirmèrent la dualité de structure de la lumière : aspect ondulatoire et aspect corpusculaire, les ondes déterminant en chaque point la probabilité de présence des photons. Il se trouva que, par une démarche inverse, l'étude des systèmes atomiques conduisit à admettre pour la matière la même dualité de structure. L'idée fort originale d'« ondes matérielles » fut émise, on le sait, par Louis de Broglie en 1924. Il alla tout naturellement la soumettre à Paul Langevin, que sa haute compétence et sa remarquable clairvoyance de jugement avaient consacré comme le véritable « maître à penser » de la physique française. Un peu déconcerté tout d'abord par une conception aussi singulière, celui-ci n'avait pas tardé à y entrevoir les perspectives d'avenir d'une synthèse nouvelle. Aussitôt il envoya ce travail à Einstein, et un peu plus tard fit inviter Louis de Broglie au prochain Conseil Solvay. Développée mathématiquement par Schrödinger, cette idée aboutit à la création de la « mécanique ondulatoire » qui permit l'interprétation complète des spectres atomiques. Fait remarquable, une éclatante confirmation était donnée, précisément en 1927 par Davisson et Germer, qui obtenaient des figures de diffraction électroniques tout à fait analogues à celles de diffraction optique de Laue.

  1. Action française était entre les deux guerres l'un des principaux journaux réactionnaires ; le vocable s'appliqua également au mouvement d'extrême-droite.