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circonstance.

Quelques années plus tard, lorsqu'apparut le danger d'un conflit dont il voyait avec angoisse se préciser la menace, il suivit avec une attention grandissante les campagnes qui tentaient de faire prévaloir le bon sens, et l'apaisement des passions militaristes. André Langevin rapporte[1] qu'un jour de l'été 1913, son frère et lui, emmenés par leur père à un meeting populaire qui se tenait en plein air près de Paris, y avaient entendu la voix du grand tribun socialiste Jean Jaurès, qui devait être assassiné l'année suivante. Il faut en effet mentionner qu'en dépit des tâches les plus absorbantes, et de circonstances parfois fort pénibles dans sa vie personnelle, Paul Langevin fut toujours pour ses enfants le père le plus tendre et le plus attentif. Il en eut quatre avant la guerre de 1914, puis, beaucoup plus tard, en 1933, un autre fils qu'il n'eut pas la joie de suivre jusqu'à l'âge d'homme. Il put s'occuper tout spécialement de l'éducation de ses deux fils aînés, suscitant leur intérêt pour toutes les manifestations de l'esprit et fortifiant leur santé par de longues courses en pleine nature, où lui-même, marcheur infatigable, trouvait une salutaire détente. Il guida de très près leurs études, et dispensa toute sa vie à chacun d'eux les inépuisables trésors de sa sollicitude, même au prix des plus grands sacrifices.

Au lendemain de la guerre, l'appel de la science était certes à nouveau puissant ; mais des circonstances extérieures liées aux difficultés économiques viennent faire prendre au savant une claire conscience de ses responsabilités de citoyen. Et d'abord dans ses propres fonctions de Directeur des études à l'EPCI. De graves mouvements de grève se succédant depuis plusieurs mois, le gouvernement a décidé de faire appel aux étudiants pour assurer les services publics. Paul Langevin s'élève alors, en opposition avec le Directeur, contre la décision de suspendre les cours, et adresse au journal socialiste L'Humanité une lettre pour appuyer ceux des étudiants qui refusent de se laisser enrôler comme briseurs de grève. Quelques mois plus tard, il prend à nouveau position publiquement dans une affaire encore plus grave. Un tribunal militaire a infligé de très lourdes peines à des marins qu'on avait envoyés en 1919 bombarder Odessa au mépris des règles du droit international, et qui s'étaient mutinés. Une campagne s'éleva en leur faveur, et, à la demande du frère du principal condamné, André Marty, Paul Langevin accepta de présider un grand meeting de protestation. Mais la perspective, si inhabituelle pour lui, d'avoir à s'exprimer dans une immense salle, devant un nombreux public populaire, lui apparut comme une réelle épreuve : car ce prestigieux professeur n'avait rien d'un tribun. Aussi, après une minutieuse étude du dossier, rédigea-t-il entièrement son intervention, dont le préambule témoigne de manière significative de l'attitude du savant envers les hommes et devant la vie:

  1. André Langevin, Paul Langevin, mon père, Editeurs français réunis, Paris, 1971 (292 pages).