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décliné l'offre d'une importante rétribution pour son invention. Il ne semble pas, toutefois, qu'il eût décliné le Prix Nobel si celui-ci lui avait été proposé, comme il aurait dû l'être eu égard à la somme de travaux de tout premier ordre dont la science lui est redevable, et à leurs multiples prolongements. La technique ultrasonore, en particulier, s'avéra d'une extraordinaire fécondité. Sans pouvoir mentionner toutes ses applications en physique, chimie, biologie, soulignons l'important emploi du quartz piézo-électrique comme stabilisateur de fréquence dans tous les circuits électroniques, notamment dans certains organes régulateurs des radars ; et la haute précision des mesures de temps réalisées grâce à l'horloge à quartz. Ces recherches ont suscité dans les années récentes deux colloques internationaux : l'un à Rome en juin 1950, l'autre à Paris en septembre 1972 à l'occasion du centenaire de la naissance de Paul Langevin. Il y fut notamment rendu compte de l'étude des ultra-sons de très haute fréquence, confinant aux ondes thermiques ; de celle des phonons et de l'état condensé ; des ondes de surface ; enfin du repérage holographique, dont une application médicale particulièrement intéressante est l'examen interne du corps humain, pour lequel les ultra-sons sont appelés à remplacer les rayons X, dont ils ne présentent pas les dangers.

La cessation des combats de la première guerre mondiale marqua, on le sait, non le retour à une paix véritable, mais le début d'une ère profondément troublée. C'est donc dans un climat peu propice à la sérénité que les intellectuels revinrent à leurs travaux. Au savant dont la générosité de coeur égale la lucidité d'esprit, il n'apparaît désormais plus possible de faire un choix entre ces deux formes d'activité a priori contradictoires : celle, essentiellement intérieure, de l'homme de science, si conforme à son goût profond ; et celle, presque toute extérieure, de l'homme d'action. Paul Langevin ne s'était d'ailleurs jamais enfermé dans une tour d'ivoire, même au début de ce siècle où, dans le calme illusoire d'une paix universelle, le grand essor de la science, et sa propre ascension personnelle étaient si exaltantes. C'est que jamais il n'avait oublié son père « républicain jusqu'au fond de l'âme » et sa mère, qui tous deux, « témoins oculaires de la Commune » (de Paris), lui avaient « mis au coeur l'horreur de la violence et le désir passionné de la justice sociale »[1]. Déjà pendant son séjour à Cambridge, alors qu'avait éclaté en France la fameuse Affaire Dreyfus qui avait soulevé tant de passions jusqu'à l'étranger, il s'était rangé sans hésitation du côté des défenseurs de la justice, et, après son retour, s'était inscrit parmi les premiers comme membre de la Ligue des Droits de l'Homme fondée en cette

  1. Allocution de Paul Langevin au Jubilé du 3 mars 1945.