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essentielles.

Poursuivant ses réflexions sur l'identité de la masse et de l'énergie, il en tire une conséquence fort séduisante en montrant qu'ainsi vient peut-être de se réaliser ce vieux rêve de l'esprit humain qu'est l'unité de la matière : si les atomes se forment par condensation à partir du plus léger d'entre eux, celui d'hydrogène, les écarts des poids atomiques par rapport à des nombres entiers s'expliqueraient par le fait que cette condensation s'accompagne d'émission d'énergie rayonnante. Cette hypothèse devait recevoir une éclatante confirmation par les découvertes ultérieures de l'astrophysique : en particulier, elle permit d'expliquer la progressive diminution de masse des étoiles au cours de leur évolution. Le phénomène de dématérialisation découvert plus tard devait montrer que cette diminution de masse est, en fait, beaucoup plus rapide encore. Enfin, pour faire comprendre le paradoxe du temps propre indiqué par des horloges initialement identiques, liées à des systèmes mis en mouvement les uns par rapport aux autres, le jeune savant imagine la merveilleuse aventure du voyageur de Langevin, qu'il narrera en détail au congrès de Bologne en 1911[1]. Ainsi, par son extraordinaire maîtrise de toute la physique de son temps, par la perspicacité de son intuition et la hardiesse de sa pensée, Paul Langevin prend place, à l'apogée de l'électromagnétisme classique, dans la lignée des grands créateurs de cette théorie, et se situe très précisément à l'articulation de ce que Kouznetsov appelle la « préhistoire de la relativité »[2], et de l'histoire de cette synthèse nouvelle dans laquelle il allait occuper une place de tout premier plan.

Au moins aussi déterminant que sa contribution personnelle à la synthèse relativiste apparaît le rôle joué par Paul Langevin dans sa diffusion en France, non seulement par des cours et séminaires plus suivis et animés que jamais, mais aussi par de nombreuses conférences dans des réunions scientifiques tant à Paris qu'à l'étranger. En octobre 1911, il est invité à la première réunion internationale de Bruxelles, organisée sur l'initiative de Max Planck, alors en vive controverse avec des physiciens classiques tels que Nernst, au sujet de l'interprétation du rayonnement au moyen de la notion de quantum d'énergie introduite par lui. Après celle de la relativité, en partie résolue, on abordait une autre grande crise de la physique, celle des quanta. L'année suivante était créé par l'illustre chimiste et industriel Ernest Solvay l'Institut international de physique qui porte son nom, et dont le but était de permettre à tous les savants de confronter périodiquement leurs points de vue sur les nouveaux et difficiles problèmes qui s'ouvraient devant eux. Les réunions devaient en être organisées par un

  1. Scientia, numéro 3, 1911, pages 31-54.
  2. La Pensée, numéro 161, 1972, page 41.