Quand on lit Cournot, on est souvent frappé de l’intérêt tout actuel que présentent ses discussions et ses analyses. En particulier, et dès l’Essai sur les fondements de nos connaissances, c’est-à-dire dès 1851, on a l’impression qu’il traite par avance, à propos de la valeur de la science rationnelle, les problèmes mêmes qui devaient être si souvent agités par quelques uns d’entre nous ; il se préoccupe de solutions analogues à celles auxquelles le nom de M. H. Poincaré surtout devait donner un certain retentissement ; il les discute et, sans s’y arrêter, les dépasse volontiers. Ceux qui parmi nous ont contribué à combattre la conception naïvement positiviste de la science en montrant toute la part que peut revendiquer l’activité créatrice de l’esprit, ont vite été effrayés des tendances sceptiques ou pragmatistes, qu’ils semblaient encourager, et tous ont fait effort pour sauver la valeur objective de la vérité scientifique. Le passage de Science et Hypothèse à La valeur de la Science, met suffisamment en évidence, en ce qui concerne M. Poincaré lui-même, l’orientation de ce mouvement et de cet effort. Or précisément c’est en se pénétrant de cette tendance qu’on a le plus de chance de comprendre Cournot. Celui-ci apparaît assez souvent comme un Poincaré qui serait allé jusqu’au bout d’une semblable réaction, et qui finirait par croire non plus seulement à la réalité de la rotation de la Terre, mais même à la vérité des postulats de la géométrie. C’est ce que je voudrais expliquer, en reprenant les choses d’un peu loin.