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étalon fixe, l’on obtient un certain nombre de décimales sûrement exactes, suivies d’une dernière décimale sur laquelle plane quelque incertitude ; des expérimentateurs divers, également soigneux, obtiendront des valeurs diverses pour cette dernière décimale, de sorte que les observations se résumeront sous une forme telle que la suivante : 30 % des observateurs trouvent un 5, 50 % trouvent un 6 et 20 % trouvent un 7 ; une autre grandeur très voisine de la première conduira à des résultats analogues, mais non en général identiques. Il se passe là un phénomène analogue à celui qui se produit dans le sophisme du tas de blé[1].

On peut faire à propos du passage que nous avons cité une observation toute différente, que l’on trouvera d’ailleurs dans le livre de M. Poincaré ; ce qu’exige son raisonnement, ce n’est pas le continu mathématique, mais seulement un ensemble dense renfermé dans le continu, par exemple l’ensemble des nombres rationnels ; car, si voisins que soient deux nombres rationnels, on peut diviser indéfiniment l’intervalle qu’ils comprennent.

Contentons-nous donc de constater cette vérité qui pouvait paraître évidente à priori : le continu physique se distingue du continu mathématique en ce que, l’expérience ne permettant jamais d’atteindre qu’une approximation limitée, une certaine différence minimum est nécessaire pour que l’on puisse discerner deux éléments très voisins[2].

8. Les relations entre les deux continus. — On pourrait conclure de la remarque précédente que, pour les besoins du

  1. Voir Émile Borel, Un paradoxe économique : le sophisme du tas de blé (« Revue du Mois », 10 novembre 1907, t. IV, p. 688).
  2. Il ne faudrait pas croire que nous retombons, en faisant cette constatation, sous le coup de l’objection de M. Poincaré ; la différence minimum n’est pas une constante absolue, mais dépend des conditions expérimentales et souvent aussi de la valeur ou de la nature des quantités que l’on mesure. Par suite deux grandeurs A et B que des procédés directs de mesure ne permettaient pas de distinguer pourront être différenciées si on a l’heureuse idée — ou la chance — de les comparer toutes doux à une grandeur convenablement choisie C que l’expérience directe ne distingue pas de B, mais distingue de A ; ces nouvelles expériences diminuent pour A et B le minimum separabile. Un autre procédé pour la diminution de ce minimum est la répétition des expériences et l’application du calcul des probabilités ; c’est là une question fort intéressante sur laquelle j’aurai sans doute l’occasion de revenir un jour.