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sans rêves. D’ordinaire, comme elles sont enveloppées d’oubli, elles ne pourraient songer dans leurs têtes vaines et légères qu’aux plaines indécises qui entourent le Tartare ; mais Daphnis et Chloé souffraient infiniment de ne point réaliser en dormant leurs souvenirs de la vie passée.

La Bonne Déesse eut pitié d’eux, et elle permit au Conducteur d’Ames de les consoler.

Par une nuit bleue, il feignit de les confondre avec les Songes ; et, parmi les êtres multicolores, chevauchant et volant, criant, riant ou pleurant, qui passent sous nos paupières quand ils se sont échappés de la porte pâle de l’Erèbe, Daphnis et Chloé, l’un contre l’autre étroitement serrés, revinrent voir l’île de Lesbos.

L’ombre était azurée, les arbres clairs, les taillis lumineux. La lune semblait un miroir d’or. Chloé s’y fût mirée avec un collier d’étoiles. Mitylène se dressait au loin comme une cité de nacre. Les canaux blancs traversaient la prairie. Quelques statues de marbre, renversées, buvaient la rosée. On voyait étinceler dans l’herbe leurs chevelures en torsade, teintes de jaune. L’air tremblait d’une lumière vague.