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paraissait pas sous ses lunettes bleu-pâle, et ses courtes moustaches blanches n’avaient pas un tremblement. Le fort était isolé ; la division qui opérait dans la campagne, déjà menacée ; un appel désespéré seul eût pu être écouté, — voici que tous les moyens lui manquaient. Les peintures de sa cellule, œuvre artistique d’un sapeur protégée en temps de paix, s’effritaient sous l’humidité ; il songeait, en regardant les écailles du plâtre, aux derniers jours, et il les voulait fermes.

Quand il releva la tête, les deux soldats tournaient leurs képis dans leurs mains. Deux Bretons, de Rosporden tous deux, Gaonac’h et Palaric. L’un, Gaonac’h, la face en lame de couteau, anguleuse et plissée, les os trop longs et les articulations noueuses ; l’autre, une figure imberbe, les cils presque blancs, des yeux clairs, un sourire de petite fille, et ce fut lui qui dit, en hésitant : « Mon commandant, Gaonac’h et moi nous venons vous demander si vous avez une dépêche peut-être, nous irons bien la porter — nous connaissons la route : n’est-ce pas Gaonac’h ? »

Le commandant du génie réfléchit un instant. C’était irrégulier, à coup sûr ; il manquait d’hommes, évidemment. Mais peut-être que le salut était là : on pouvait sacrifier deux hommes pour en sauver cent cinquante. Alors, assis devant sa table, il écrivit en plissant le front. Lorsqu’il eut fini, il cacheta, mit son timbre et parapha, fit venir les cuisiniers, ordonna deux