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d’instruction, je serais sous-chef de dépôt. Mais quoi ! sur les machines on s’abêtit ; on peine la nuit, on dort le jour. De notre temps la mobilisation n’était pas réglée, comme maintenant ; les équipes de mécaniciens n’étaient pas formées : nous n’avions pas de tour régulier. Comment étudier ? Et moi surtout : il fallait avoir la tête solide pour résister à la secousse que j’ai eue.

Mon frère, lui, avait pris la flotte. Il était dans les machines des transports. Il était entré là-dedans avant 1860, la campagne de Chine. Et la guerre finie, je ne sais comment il était resté dans le pays jaune, vers une ville qu’on nomme Canton. Les Yeux-Tirés l’avaient gardé pour leur mener des machines à vapeur. Sur une lettre que j’avais reçue de lui en 1862, il me disait qu’il était marié, et qu’il avait une petite fille. Je l’aimais bien mon frère, et cela me faisait deuil ne ne plus le voir ; et nos vieux aussi n’en étaient point contents. Ils étaient trop seuls, dans leur petite cahute, en campagne, tirant sur Dijon ; et, leurs deux gars partis, ils dormaient tristement l’hiver, à petits coups, au coin du feu.

Vers le moi de mai 1865, on a commencé à s’inquiéter à Marseille de ce qui se passait au Levant. Les paquebots qui arrivaient apportaient de mauvaises nouvelles de la mer Rouge. On disait que le choléra avait éclaté à La Mecque. Les pèlerins mouraient par milliers. Et puis la maladie avait gagné Suez, Alexandrie ; elle avait sauté jusqu’à Constantinople. On