Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/52

Cette page n’a pas encore été corrigée

— Faut voir, grommela le Vieux. Sortons le mouchoir ; on est dans la grosse mé, à cette heure. Ça va souffler présentement dans la grande largeur ; Pen-Bras, nage seul ! — la Tourte, largue l’écoute ! »

La petite chaloupe, toile au vent, fila entre Noirmoutier et les Piliers ; un moment les trois gabelous virent tourner le phare à éclipses, et la mer phosphorescente rejaillir sur l’îlot rocheux en crêtes blanches. Puis l’obscurité complète de l’océan noir. Le sillage du galion s’éclaira, comme un ruban d’eau verte à broderies mouvantes ; les méduses y flottaient, gelées transparentes qui agitaient leurs tentacules, poches visqueuses et pellucides, étoiles radiantes et diaphanes, monde cristallin d’êtres lumineux et gluants. À l’arrière du galion, un sabord s’ouvrit soudain ; une tête grimaçante à bouche édentée, casquée d’un armet couleur d’or, s’inclina vers les trois gabelous ; une main décharnée brandit une bouteille noire et la jeta à l’eau.

« Ho ! cria Pen-Bras, par bâbord ! Une bouteille à la mer ! »

La Tourterelle, plongeant la main dans une vague, happa le flacon par le col ; bouche bée, les trois gabelous admirèrent la couleur orangée du liquide où flottaient encore des ronds moirés d’or, — toujours d’or. Pen-Bras, cassant le goulot, lampa longuement :

« C’est du vieux tafia dit-il ; mais ça sent fort. »

Une odeur nauséabonde s’échappait de la bouteille.