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avait de Dieppe, et de Saint-Malo, et des matelots de tout le long de la côte, jusqu’à des Basques de Saint-Jean-de-Luz. Ça se connaît, sur la mé, les matelots, et au pays. Qui sait s’ils n’ont pas pris une île, quelque part ? Il y en a, des îles, à prendre.

— Bon Dieu, une île, dit Pen-Bras. Mais c’est leurs petits, alors, qu’est devenus grands-pères et qu’a fait d’autres petits qui sont gabiers. Et c’est eux qui débarquent les millions.

— Peut-être bien ; qui sait ? ricana le Vieux en clignotant des yeux et en poussant sa chique de la langue. Faut voir. Ça pourrait bien être pour terrer l’or et faire de la fausse monnaie.

— Ma vieille, cria la Tourterelle, de l’huile de bras ! souquons, nageons ! Ces mathurins du vieux temps, ça ne sait pas les tours de bâton du jour d’aujourd’hui. Nous leur montrerons le coup. Ah ! quelle noce ! »

La lune montra par une trouée son orbe lavé. Les matelots nageaient depuis trois heures ; les veines de leurs bras étaient gonflées ; la sueur leur coulait du col. Par le travers de Noirmoutier, ils aperçurent le gros galion qui fuyait toujours sous le vent, une masse noire avec le fanal et le foc, comme une piqûre de sang. Et puis la nuit se referma sur la lune jaune.

« Bon sang de bon Dieu ! dit Pen-Bras, on passe les Piliers de ce coup !

— Va toujours ! chanta la Tourterelle entre les dents.