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encore monotones, à débarbouiller les petits et à raccommoder les filets, à coucher le vieux quand il rentrait plein, et les bons soirs, des fois, à jouer au trois-sept avec les commères, pendant que la pluie claquait contre les carreaux et que le vent rabattait les brindilles dans l’âtre.

Et puis l’homme se perdit à la mé ; la Jeanne le pleura dans l’église. Elle fut longtemps, la figure raidie et les yeux rouges. Les enfants poussèrent et partirent, qui par ci, qui par là. Finalement, elle resta seule, vieille, béquillarde, ratatinée, chevrotante ; elle vivait avec un peu d’argent que lui envoyait un de ses fils qui était gabier. Et un jour, comme l’aurore poignait, les rayons gris qui entrèrent par les carreaux fumeux éclairèrent l’âtre éteint et la vieille qui râlait. Dans le hoquet de la mort, ses genoux pointus soulevaient ses hardes.

Tandis que la dernière bouffée d’air chantait dans sa gorge, on entendait sonner matines, et ses yeux s’obscurcirent tout à coup : elle sentit qu’il faisait nuit ; elle vit qu’elle était dans la forêt du Gâvre ; elle venait de remettre son sabot ; le diable avait cueilli une noisette avec sa queue, et l’écureuil achevait d’en croquer une autre.

Et elle s’écria de surprise en se retrouvant toute petite, avec son fichu rouge, sa chemise grise et sa jupe déchirée ; puis elle s’écria de peur : « Oh ! gémit-elle en faisant le signe de la croix, tu es le diable et tu viens m’emporter ! — Tu as fait des