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Comme il parlait, le diable cueillait une noisette avec sa queue, et l’écureuil en croquait une autre.

La petite fille glissa son pied mouillé dans le gros sabot, et se trouva tout à coup sur la grand’route, le soleil levé dans des bandes rouges et violettes à l’Orient, parmi l’air piquant du matin, la brume flottant encore sur les prés ! Il n’y avait plus ni forêt, ni écureuil, ni diable. Un charretier ivre, qui passait au galop, emportant une charretée de veaux qui meuglaient sous une bâche trempée, lui cingla les jambes d’un coup de fouet en manière de salut. Les mésanges à tête bleue piaillaient dans les haies d’aubépine semées de fleurs blanches. La petite fille, étonnée, se remit à marcher. Elle dormit sous une yeuse, à l’angle d’un champ. Et le lendemain elle continua sa route. De chemin en chemin, elle arriva parmi des landes pierreuses, où l’air était salé.

Et plus loin elle trouva des carrés de terre, pleins d’eau saumâtre, avec des meules de sel qui jaunissaient au croisement des levées. Des culs-blancs et des hoche-queues picoraient le crottin sur la route. De larges volées de corbeaux s’abattaient de champ en champ, avec des croassements rauques.

Un soir elle trouva assis sur la route un mendiant déguenillé, le front bandé de vieille toile, avec un cou sillonné de cordes raides et tordues, et des paupières rouges retournées. Quand il la vit arriver, il se leva et lui barra le chemin de ses bras étendus. Elle poussa un cri ; ses deux gros sabots glissèrent sur la