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Claude Bernard distinguait dans les êtres vivants le milieu intérieur et le milieu extérieur ; l’artiste doit considérer en eux la vie intime et la vie externe, et nous faire saisir les actions et les réactions, sans décrire ni discuter.

Or les émotions ne sont pas continues ; elles ont un point extrême et un point mort. Le cœur éprouve, au moral, une systole et une diastole, une période de contraction, une période de relâchement. On peut appeler crise ou aventure le point extrême de l’émotion. Chaque fois que la double oscillation du monde extérieur et du monde intérieur amène une rencontre, il y a une « aventure » ou une « crise ». Puis les deux vies reprennent leur indépendance, chacune fécondée par l’autre.

Depuis la grande renaissance romantique, la littérature a parcouru tous les moments de la période de relâchement du cœur, toutes les émotions lentes et passives. À cela devaient aboutir les descriptions de la vie psychologique et de la vie physiologique déterminées. À cela aboutira le roman des masses, si on y fait disparaître l’individu.

Mais la fin du siècle sera peut-être menée par la devise du poète Walt Whitman : Soi-même et en masse. La littérature célébrera les émotions violentes et actives. L’homme libre ne sera pas asservi au déterminisme des phénomènes de l’âme et du corps. L’individu n’obéira pas au despotisme des masses, ou il les suivra volontairement. Il se laissera aller à l’imagination et à son goût de vivre.

Si la forme littéraire du roman persiste, elle s’élargira sans doute extraordinairement. Les descriptions pseudo-scientifiques, l’étalage de psychologie de manuel et de biologie mal digérée en seront bannis. La composition se précisera dans les parties, avec la langue ; la construction sera sévère ; l’art nouveau devra être net et clair.

Alors le roman sera sans doute un roman d’aventures dans le sens le plus large du mot, le roman des crises du