Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/177

Cette page n’a pas encore été corrigée

les firent gonfler. Ses jambes devinrent semblables à deux outres pleines qu’il traînait après lui sur ses genoux. Les bêtes ailées, si petites qu’on ne peut les voir, et qui vivent dans l’air, tombèrent avec l’eau de la pluie sur sa tête ; et les cheveux du Rajah se fondirent dans des ulcères, et la peau de son crâne se souleva, pleine de plaies et de nœuds luisants. Et tout son corps devint sanglant, par les bestioles de la terre, de l’eau et de l’air qui venaient y habiter.

Mais le Maharajah supportait patiemment la volonté des dieux, sachant bien que tout ce qui respire a une âme, et qu’il ne faut pas tuer les êtres vivants, ni les laisser mourir. Bien qu’il souffrît des douleurs effroyables, il se sentait encore de la pitié pour toutes les âmes qui l’entouraient. « Certes, se dit-il, je ne suis pas encore fakir, la renonciation doit être plus dure et la lutte plus terrible. Voici que j’ai renoncé à mes richesses, à ma femme, à mon fils, à la santé de mon corps ; que faut-il de plus pour atteindre la pitié qui fleurit chez le pauvre ? »

Jamais le Rajah n’avait songé que l’un des biens de la terre était la liberté. Lorsqu’il eut ainsi médité, il vit que la liberté est la condition des rois du monde et qu’il lui fallait l’abandonner pour éprouver la véritable piété. Le Rajah résolut de se vendre au premier pauvre qu’il trouverait.

Passant dans une contrée noire, où la terre était grasse et suintante, où les oiseaux du ciel volaient par cercles et s’abattaient en nuées, le Maharajah