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et la bouche rentrée ; ses pommettes étaient pointues, sa tête osseuse, et, chaque fois qu’il faisait un geste, on croyait voir sortir des esquilles de ses manches ou de son pantalon. Ses yeux étaient caves et mornes, ses doigts semblaient des fils de fer, et sa mine était si grave qu’on devenait triste à le regarder. Il portait à la main un étui à lunettes et il chaussait de temps en temps des verres bleus, en parlant. Dans toute sa personne, la voix seule était onctueuse et attachante, et il s’exprimait avec tant de douceur que les larmes vinrent aux yeux de l’homme gras.

« Ho, Marie, cria-t-il, nous avons un monsieur à dîner. Vite en route, mets la table ; voici la clef du linge ; cherche une nappe, prends des serviettes ; fais monter du vin — celui de gauche, les bouteilles du fond — peut-être aimez-vous le bourgogne, monsieur ? Ho, Marie, tu apporteras du Nuits ; veille à la poularde, celle de l’autre jour était une idée trop cuite. Monsieur, un doigt de ce Constance. Vous devez avoir faim, nous dînons trop tard. Marie, presse-toi, monsieur meurt de faim. As-tu mis le rôti ? Il faut tailler la soupe. N’oublie pas les petits verres. Et le thym, y as-tu pensé ? J’étais sûr. Mets un bouquet de suite. Et ce monsieur qui aime peut-être le poisson : justement nous n’en avons pas. Excusez-moi, monsieur. Dépêche-toi, Marie, décante ce vin, pousse ces chaises, avance la soupière, passe le beurre, dégraisse cette sauce, donne le pain. Cette soupe est délicieuse, n’est-ce pas ? Il