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personne se représente, chez les autres êtres, les craintes dont elle souffre, elle est parvenue à concevoir exactement ses relations sociales.

Or, la marche de l’âme est lente et difficile, pour aller de la terreur à la pitié.

Cette terreur est d’abord extérieure à l’homme. Elle naît de causes surnaturelles, de la croyance aux puissances magiques, de la foi au destin que les anciens ont si magnifiquement représentée. On verra dans Les striges l’homme qui est le jouet de ses superstitions. Le sabot montre l’attrait mystique de la foi échangée contre une vie grise, la renonciation à l’activité humaine à n’importe quel prix, même au prix de l’enfer. Avec Les trois gabelous, l’idéal extérieur qui nous mène mystérieusement à la terreur se manifeste par le désir de l’or. Ici l’effroi naît d’une coïncidence subite, et les trois contes suivants montreront qu’une rencontre fortuite d’accidents, encore surnaturelle dans Le Train 081, mais réelle dans Les Sans-Gueule, peut exciter une terreur intense causée par des circonstances indépendantes de l’homme.

La terreur est intérieure à l’homme, bien que déterminée encore par des causes qui ne dépendent pas de nous, dans la folie, la double personnalité, la suggestion ; mais avec Béatrice, Lilith, Les portes de l’opium, elle est provoquée par l’homme lui-même, et par sa recherche de sensations — que ce soit la quintessence de l’amour, de la littérature ou de l’étrangeté qui le conduise à l’au-delà.

Quand la vie intérieure l’a mené, par les portes de l’opium, jusqu’au néant de ces excitations, il considère les choses terribles avec une certaine ironie, mais où l’énervement se traduit encore par une excessive acuité de sensations. La placidité béate de l’existence s’opposé vivement dans son esprit à l’influence des terreurs provoquées, extérieures, ou surnaturelles — mais cette existence matérielle ne semble pas, dans L’homme gras ni dans Le conte des œufs, le