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qu’il est employé par la corporation des garçons bouchers concurremment avec les classes dangereuses. Ce procédé consiste à remplacer la première lettre d’un mot par l, à la rejeter à la fin du mot, et à la faire suivre d’un suffixe. Ici ce suffixe est ème ; ailleurs il sera différent ; et cette mobilité de suffixes est une première et précieuse indication.

Nous trouvons, en effet, les formations :

Lonsieurmique (monsieur), †loirepoque (poire), †lemmefuche (femme), †latronpatte (patron). Elles doivent être ainsi décomposées :

l ichetonm ique (micheton).
1 2 3  

(1) représente la première moitié de l’élément de déformation ; (2) est le mot disloqué ; (3) représente la seconde moitié de l’élément de déformation. — Cette seconde moitié est le suffixe ique, oque, uche, atte ou ème. Elle n’est parfois que la voyelle e accentuée. Ainsi dans †lingtvé (vingt)[1]. L’ignorance de ce procédé a causé dans les travaux philologiques sur l’argot de graves erreurs. On lit à l’article Linspré dans l’ouvrage de F. Michel :

« Linspré, s. m. Prince. — Il y avait autrefois, dans la cathédrale de Paris, un enfant de chœur, le plus ancien de ses camarades, que l’on appelait vulgairement l’inspé ou le spé, non en raison de l’espérance qu’il avait de devenir petit chanoine, mais du mot inspector ou inspecteur, parce que ce spé ou inspé avait en effet une manière d’inspection sur le reste des enfants de chœur. Voir Explication… des cérémonies de l’église, par dom Claude de Vert. À Paris, chez Florentin Delaulne, m.dccix — XIII, in-8o, t. II, remarques sur le chap. ii, p. 305. Dictionnaire… de plain-chant et de musique d’église, par M. J. d’Ortigue. Paris, Migne, 1853, in-4o, col. 1389-1390, art. Spe ; et le Moniteur universel, no du 8 janvier 1854, p. 30, col. 4 et 5 du feuilleton. »

Ce mot, F. Michel aurait dû l’écrire lincepré et y reconnaître la déformation artificielle de prince[2]. Cette erreur est un exemple du danger qu’il y aurait à appliquer à l’argot une méthode unique.

    et les formes hypothétiques auxquelles nous serons amenés d’un astérisque (*). Les mots marqués d’une croix pourront être rencontrés ailleurs, mais nous les avons toujours entendus.

  1. L’orthographe adoptée généralement est linvé. Il s’agit ici de mettre en lumière des procédés artificiels : aussi garderons-nous la forme du radical disloqué et donnerons-nous toujours aux suffixes un aspect orthographique uniforme.
  2. M. Ascoli (Studj critici, art. Gerghi) avait déjà signalé l’erreur de F. Michel. Mais il interprète linspré faussement lorsqu’il dit « in cui si pronuncia invertitamente le ns-pre a vece di le pre-ns ». L’article le n’a rien à voir dans cette formation artificielle. C’est pour l’avoir méconnue que F. Michel a écrit lorgne-b (borgne) au lieu de lorgnebé (cf. lorcefé) et M. Ascoli l’a suivi dans cette erreur.