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lasse[1], peluche[2], coqueluche[3], baluchon[4], etc., sont expliqués d’une manière satisfaisante par l’argot. Si la liste de ces mots n’est pas infiniment plus longue, c’est qu’un contrôle historique soigneux est indispensable et que ce contrôle demande bien du temps.

Au point de vue social, nous avons reconnu dans l’argot l’intervention d’une élite intellectuelle. La filiation synonymique nous permet de démasquer ces mystérieux personnages. On sait qu’au xvie siècle les modifications du langage étaient confiées aux archi-suppôts. Voici comment les définit Olivier Chéreau : « En un mot, ce sont les plus sçavants, les plus habiles marpauts de toutime l’Argot, qui sont des escoliers desbauchez et quelques ratichons, de ces coureurs qui enseignent le jargon à rouscailler bigorne, qui ostent, retranchent et reforment l’argot ainsi qu’ils veulent, et ont ainsi puissance de trucher tout le toutime sans ficher floutière. » Une dérivation synonymique rencontrée dans le même opuscule du Jargon de l’argot réformé donne archi-boutant. Dès lors les archi-suppôts sont les arcs-boutants de l’argot. Le Jargon de l’argot réformé est l’œuvre d’un « pilier de boutanche qui maquille en molanche dans la vergne de Tours » (commis de boutique qui travaille dans les laines à Tours)[5]. Pilier, c’est encore le suppôt, le boutant. Et ceux qui parmi les malfaiteurs sont appelés †les poteaux ont reçu la longue tradition du maniement du langage. Dès lors le mot souteneur est l’équivalent de poteau et ne s’applique pas seulement en ménage privé, mais à l’association tout entière. Ce sont les poteaux qui reprennent les mots oubliés pour les lancer de nouveau dans la circulation ; ils sont encore les grands maîtres dans l’université de l’argot.

Au point de vue de la méthode appliquée à la linguistique, nous pensons avoir prouvé que celle qui convient à l’argot est la méthode expérimentale. Cette langue a été décomposée et recomposée comme une substance chimique ; mais elle n’est pas

  1. Voir le suffixe asse.
  2. Doublet artificiel de peau (pel). Nous avons recueilli : †C’est comme de la peluche, doublet de l’expression ironique : « C’est comme de la peau. »
  3. Doublet artificiel de coq. « Être la coqueluche du pays », c’est « être le coq du village ». En passant dans le langage populaire, la terminaison a fait croire à un féminin. L’argot dit un dabuche (roi. — Pech. de Ruby). L’adjonction de luche comme boche dans rigolboche se retrouve dans †campluche (campagne) ; l’explication de Ménage, d’après laquelle cucullutus (encapuchonné) aurait donné à la fois coqueluche et goguelu n’est pas sérieuse. Le nom de la maladie (coqueluche) confirme notre explication. La toux du malade ressemble au chant du coq.
  4. On doit supposer *baluche et remonter à la balle des merciers. Embaluchonner signifie empaqueter. (Vocabulaire de l’Hist. de Cartouche. — Bernardin-Béchet.)
  5. Ce titre présente un double sens : « un archi-suppôt qui est tire-laine à Tours ». Pilier s’employait d’une manière absolue, comme poteau de nos jours. Voir Jargon de l’argot réformé : « Ha, Pillier, que gitres [j’itre] esté affuré gourdement ! »