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même dans la série des mots qui signifient tête des métaphores très simples qui se rapportent à la forme[1]. Calebasse (Jargon de l’argot réf.), coloquinte (ibid.), †poire (loirepoque), †couatche (all. quetsche), †ciboulot et ciboulotte (ciboule), †citronnade (citron), †pomme, †balle, †boule, †bobine, †fiole, †cafetière. (Trognon appartient, comme gnasse, aux dérivés de trogne.) Y a-t-il là des métaphores différentes de celle qui a donné au mot testa le sens de tête ? La métaphore joue ainsi un rôle dans l’argot ; mais elle ne paraît pas y avoir un rôle plus grand que dans les autres langues, rapportées à leur origine.

Revenons aux séries parallèles dont il était question plus haut. L’argot connaît deux procédés : la défiguration artificielle et le synonyme. De là deux filiations, chacune se rapportant à un des doublets artificiels. Le mot marmite[2] (femme) défiguré au point de vue morphologique donne †marmotte. Le suffixe ite a cédé la place à ote. Le nouveau sens obtenu n’a certainement pas été défavorable à cette transformation. Marmotte représentant une nouvelle idée donne par dérivation synonymique †taupe. Dans la série parallèle, marmite, considéré au point de vue métaphorique, donne par dérivation synonymique †poêlon et †casserole[3]. Bonneteau ne donne qu’une série. Par défiguration artificielle (abréviation, v. page 46, note 2), on a †bonnet. L’idée de bonnet fait naître †bonneterie ; puis, par dérivation synonymique †lingerie. Enfin, des joueurs de bonneteau sont des †linges. Les yeux ont donné naissance à une métaphore élémentaire (voir plus haut, tête) ; c’est le mot †billes ; par dérivation synonymique on a †calots. Toqué (fou) donne une abréviation redoublée, allusion au sens propre du mot (voir plus loin chiquer), c’est †toc-toc[4] ; une dérivation synonymique par onomatopée donne †pan-pan. « Saint-Esprit, protégez-nous ! » devient « †Sainte-Essence, protégez-nous ! ».

Ce procédé de l’argot laisse persister des équivoques pendant plusieurs siècles. M. Vitu, dans le Jargon du xve siècle, a établi

  1. M. Lorédan Larchey a dit à ce sujet des choses fort judicieuses (Dict. de l’arg. paris.).
  2. Il est fort probable que ce mot n’est nullement une métaphore. Il faut sans doute y voir le suffixe mite et rapporter le radical à la série mar-lou mar-paut (Lasphrise), mar-quise (Pech. de Ruby), mar-que (Villon), etc.
  3. Casserole avec le sens de dénonciatrice fait partie d’une autre série. La dérivation synonymique amène forcément de ces rencontres. Au point de vue sémantique, le mot présente le même phénomène de fausse généralisation que boche, par exemple, ou mouche (mal et mouchard). — La défiguration par suffixes et la dérivation synonymique donnent naissance à des schèmes artificiels.
  4. Voir chiquer. Toqué est synonyme de fêlé (toquer, frapper) — ce n’est pas coiffé d’une toque.