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et traduire : « Cachez-vous », etc. Le mot planter est devenu †planquer. (Voir plus loin paquelin et patelin.)

On pourrait étudier l’argot en classant les mots par suffixes, c’est-à-dire d’une manière rétrograde. C’est un point de vue utile pour faire connaître la richesse d’une langue. Dans l’étude du langage spontané, ce n’est pas un classement artificiel : les suffixes ont une valeur pour le sens ; ils indiquent telle nuance de la pensée, telle fonction du vocable. Ici le suffixe n’a point de valeur pour le sens ; c’est un élément de déformation. Un mot ordinaire se compose de deux éléments : racine et suffixe ; c’est un mot spontané (dor-er). Un mot argotique se compose de trois parties : racine, élément ou éléments de défiguration, suffixe (dor-anch-er). Ce que nous avons appelé suffixe est proprement un élément de déformation sans valeur sémantique. Un problème des plus intéressants serait de rechercher l’origine de tous ces suffixes argotiques. On en trouverait peu, sans doute, d’inventés de toutes pièces ; ils sont presque tous empruntés. Mais, avant d’être ainsi employés, ils avaient un sens : et ce serait un beau chapitre pour l’histoire de l’analogie dans les langues d’étudier l’invasion croissante de ces éléments de la parole dont la conscience s’est retirée.

Le classement par suffixes serait donc artificiel : mais la méthode ne serait pas fausse, car elle s’applique à une langue artificielle. Néanmoins le point de vue sémantique nous a paru beaucoup plus fécond pour seconder les recherches. On verra d’ailleurs que les deux méthodes se rencontrent et se pénètrent sur bien des points.

Dans la recherche des lois de formation artificielle, nous sommes partis des faits observés et nous nous sommes élevés aux principes généraux par un procédé inductif. Dans l’étude des transformations sémantiques de l’argot, nous ferons appel à un autre principe des sciences expérimentales, au raisonnement par analogie. Nous verrons ainsi que même l’étude des produits de la raison humaine, en tant qu’ils contiennent de la raison, peut être abordée autrement que par la méthode déductive.

II

Lorsqu’on entend parler l’argot, on s’aperçoit rapidement que le nombre des termes défigurés n’est guère plus grand que celui des mots de la langue courante. Cependant on ne comprend pas plus ces derniers que les premiers. Ils paraissent être employés tout à fait en dehors de leur signification habituelle. Des mots comme chiquer (battre ou tromper), taupe (femme), linge (joueur de bonneteau) semblent ou des métaphores immédiates, ou le