Page:Schwob-Guieysse - Étude sur l’argot français, 1889.djvu/15

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Verre, par exemple, fait verrasse[1] ; vin donne vinasse ; bon, bonasse. Il y a là un suffixe asse auquel les dictionnaires donnent un sens péjoratif. En effet, il est possible que ces doublets artificiels prennent en passant par le langage populaire une acception en mauvaise part, dernier souvenir de leur basse origine. Mais en argot, le sens du suffixe asse est nul. On le reconnaîtra facilement par le mot limace[2] (chemise. Bruant. Dans la rue), doublet du mot lime, employé au xvie siècle dans le même sens (Pechon de Ruby, Rabelais). La forme de ce mot pourrait faire croire à une métaphore : elle n’est devenue pittoresque que par l’adjonction mécanique d’un suffixe. Birbe (vieux) a donné †birbasse (dér. birbasson )[3]. Il sera facile de reconnaître le suffixe asse dans caillasse (caillou), paillasse (paille), mélasse (miel). Si quelques-uns de ces mots ont pris un sens spécial ou péjoratif en passant par le langage populaire, on peut affirmer après un examen des formes semblables qui se constituent sous nos yeux, qu’il y a eu à l’origine équivalence complète entre les doublets. Trogne, qui a donné †trognon (tête), a dû donner *trognasse (figure). Il est resté en effet le mot †gnasse dont le sens est équivalent à *trognasse. La chute d’une partie du radical s’est produite de même dans †troquet pour mastroquet[4].

Un autre élément de défiguration, dont l’argot se sert volontiers encore aujourd’hui, est le suffixe go ou got. Exemple : Parisien et †Parigot ; sergent et †sergot ; mendiant et †mendigot ; Saint-Lazare et †Saint-Lago ; Sainte-Pélagie et †Sainte-Pélago. Le procédé général consiste à couper le mot et à ajouter go. Parfois cependant on ajoute purement et simplement go : ici et †icigo ; là, là-bas et †lago, †labasgo ; gi (oui) et †gigo.

De ces observations résultent plusieurs étymologies. Le mot mégot, d’abord, grâce à un double recueilli †mèchego, a une explication simple. Mèche[5] en argot signifie demi. On a dit d’un cigare à moitié fumé un demi, un mèche, un mèchego, comme on dit un demi en parlant d’un demi-setier[6]. Le mot magot (singe, figurine) doit être distingué du mot magot (magauld, bourse, somme) dont l’origine est un terme bas-latin. Sans doute nous avons là mannego comme mannequin ; la même chute s’est produite

  1. Cf. Rabel., II, c. 13, « Trois verrassées de caillebottes ».
  2. On trouve déjà limace dans Grandval. (Le Vice puni, 1725.)
  3. Cf. canaçon (cheval), qui suppose *cagnasse de cagne. (Voir l’étym. de Delvau.)
  4. Cf. et voir plus bas Marguerite-Margot-goton (suff. got)
  5. C’est l’italien mezzo. De plus, mèche correspond exactement au latin medius qui a donné moyen. Cf. 1o deux plombes et mèche, deux heures et demie; 2o il n’y a pas mèche, il n’y a pas moyen.
  6. Cf. « un demi de vieux ». Bruant, Dans la rue.