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donné †fringuer[1]. *Froque résulte de défroquer et de défroque. *Fripe est démontré par fripier et friper. Pour prouver que le sens de friper se rapporte bien à fripe, il suffira de dire que la relation est la même entre chiffonner et chiffon. Ainsi le radical élémentaire fr a revêtu grâce à ces suffixes us-quin[2], ingue, oque, ipe, les apparences les plus variées.

Le suffixe ipe, obtenu par cette comparaison, nous donnera une autre série où l’insertion des éléments artificiels est plus curieuse. Nous trouvons le groupe ipe dans le mot chiper (dér. chipeur). Dès lors il faut rapprocher choper (dér. chopeur, chopin). L’original de ces doublets artificiels nous est sans doute donné dans ce vers du jargon de Villon :

Incontinent mantheaulx chappez…

(Jargon, Ball., IV.)

Le mot chapper (prendre) est probablement le latin capere. Ce qu’il y a de particulier, c’est que ce mot a été traité de deux manières différentes par l’argot. Le radical entier étant donné comme immobile, on a ajouté la finale ard (chapard). Le verbe chap-ard-er et l’adjectif chapardeur conservent le corps du mot intact. Mais la finale ape paraissait également mobile (taper et toper) ; l’argot y a substitué ope et ipe (chaper, choper, chiper). Là encore le radical est ramené à un son élémentaire : t ou ch.

Le doublet artificiel de « choquer » chiquer présente le même phénomène. Nous y reviendrons dans la seconde partie de notre étude.

Les observations que nous avons faites nous permettent de revenir maintenant au mot mouchique (vilain, laid) rattaché par F. Michel au russe mujik. Tout d’abord mouchique a en argot un synonyme que F. Michel n’a pas noté : c’est †moche, ou †mouche[3].

  1. Fringuer, qui signifie aujourd’hui habiller, avait au xvie siècle tous les sens du mot chiffonner, comme friper (v. infra). — « Mettez la dame au coin du lict, fringuez la toureloura la la. » (Rabelais, Pantagruel, t. II, c. 12.) Le Duchat donne en note le dér. fringoter. On peut rapprocher fringant, dans le sens de galant ; peut-être fripon.
  2. Cf. mannequin sur lequel nous n’insisterons pas dans ce travail. Il faut y reconnaître le mot mann dont l’argot se sert en composition : †grinche-mann (voleur), †fauche-mann (à court d’argent). Le mot manequin (Du Cange, Arca penaria quæ manu gestatur) est formé sur mane (panier d’osier). Rabelais l’emploie dans les deux sens : « petits manequins et animaux bien assortis et dorés avecq les goutieres » (I, c. 53). L’étude de cette question nous entraînerait à examiner l’introduction des mots étrangers et particulièrement allemands, ce qui nous ferait sortir du modeste cadre de notre article. M. Ascoli (Studj critici) a constaté l’affaiblissement du sens de mann. Cf. brigmann de briquer (sabre) et en rothwälsch : dickmann (œuf), feldmann (charrue), etc. Une femme peut dire : †« Je suis fauchemann. »
  3. Il est essentiel de séparer ces mots d’une autre série qui se rattache à remoucher (regarder, épier). *Moucher a donné mouche, mouchard, moucharder, etc.