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Le Rationalisme qui survient au courant du xviiie siècle, décide dans la poésie religieuse le triomphe de ce subjectivisme, que Paul Gerhardt avait su contenir dans certaines limites. C’est dès lors, l’invasion triomphante du genre didactique et du raisonnement sentimental. Cet esprit nouveau trouve son représentant typique en Christian Fürchtegott Gellert. Né en 1715, il mourut professeur de philosophie à l’Université de Leipzig, en 1769, vingt ans après Bach. Ses poésies et ses odes exhalent un sentiment très vif des beautés de la nature. Aussi font-elles l’admiration unanime de la seconde moitié du xviiie siècle. Les fils de Bach, Quantz le célèbre flûtiste et Beethoven lui-même, se complaisaient à leur trouver des mélodies. Mais, au fond, le Rationalisme était funeste à la vieille poésie religieuse. Non seulement il ne comprend pas la beauté des anciens chants, mais il entreprend encore de les moderniser, en y introduisant les nouvelles idées philosophiques et en modifiant la langue ancienne qui lui semble démodée. Ne nous étonnons point de voir les anciens chants nous apparaître alors sous une sorte de travestissement souvent ridicule.

On ne revint de cette aberration qu’au commencement du xixe siècle. Il faudra la lutte entamée par des poètes comme Ernst Moritz Arndt, pour réhabiliter les anciens cantiques. Ces efforts aboutiront à un mouvement de restauration, qui se poursuit à travers tout le xixe siècle. Dans les nouveaux cantiques, on reprend les chants primitifs en se bornant à changer, çà et là, des expressions qui choquent par trop le sentiment moderne. Toutefois, de cette révolution accomplie par le Rationalisme dans les textes de cantiques, il restera jusqu’à nos jours un désordre irréparable. La même poésie existe parfois dans une douzaine de variantes. D’où la nécessité, pour expliquer les chorals de Bach, où souvent le moindre détail du texte donne la clef de la musique, de consulter les recueils d’alors. L’étude des chorals dans l’ouvrage présent repose sur le texte du grand cantique de 1697.