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pratiquent, ils ont beau multiplier les explications et commenter chaque mesure : ce caractère «primitif ne fait que s’accentuer. Tels les anciens peintres, qui figuraient les paroles de leurs personnages par une guirlande de mots qui s’élançait de leur bouche, au lieu de se contenter du geste et de l’expression.

L’histoire de la musique descriptive primitive comprend donc deux périodes : une période ancienne et une période moderne. Ici et là, nous sommes en présence de tendances normales, qui, étant donné la façon dont elles se sont manifestées et développées, n’ont abouti qu’à un art faux.

Dans l’art pictural, nous constatons une anomalie analogue : la peinture biblique. Séduits par des épisodes connus de tous, les peintres, anciens et modernes, se sont laissés entraîner au-delà des limites naturelles de la narration picturale. Ils croyaient représenter tel ou tel épisode de l’Histoire sainte, en réunissant sur une même toile les personnages qui y figurent ; ils ne songeaient point à se demander si l’action de l’épisode pouvait être concentrée dans une scène unique et se traduire d’une façon concrète par l’attitude des personnages, comme l’exige la logique de toute composition picturale. Aussi ont-ils créé, presque tous, des tableaux qui sont, en leur genre, aussi faux que la fausse musique descriptive. Comme les scènes bibliques des Sonates de Kuhnau, leurs œuvres ne s’expliquent que par des sous-entendus. Un homme avec un couteau, un enfant avec les bras liés, une tête qui surgit à travers les nuages, un bouc dans les arbustes : tout cela réuni sur une toile représente l’histoire du sacrifice d’Abraham. Une femme et un homme assis au bord d’une citerne, douze hommes venant deux par deux sur la route, dans le fond des gens sortant d’un bourg : c’est Jésus et la Samaritaine.

La peinture biblique fournit en abondance des exemples de cette fausse narration picturale qui, en vérité, n’est que de la belle imagerie. Si achevée que soit l’exécution, elle