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écrits. Rien de plus intéressant, à cet égard, que leurs lettres : elles montrent leur esprit sans cesse travaillé par des images visuelles.

La tendance descriptive apparaît déjà dans les œuvres des primitifs. Ce sont des tendances imitatives très naïves ; ils veulent reproduire le chant des oiseaux, le rire, les gémissements, le bruit d’une source ou d’une cascade ; bien plus : ils prétendent représenter des scènes entières, et aboutissent ainsi à des narrations musicales où les péripéties de la composition sont censées correspondre à celles d’un récit. C’est précisément dans les deux générations antérieures à Bach que nous voyons apparaître simultanément en Italie, en Allemagne et en France, cette musique descriptive rudimentaire. Ainsi, dans les morceaux caractéristiques de Froberger et des clavecinistes français, que Bach connaissait, dans les descriptions orchestrales des maîtres hambourgeois, les Keiser, les Mattheson et les Telemann, et surtout, dans les sonates bibliques de Kuhnau, qui sont comme l’expression classique de cette tendance.[1]

Cette musique descriptive primitive a si peu cessé d’exister qu’elle reparaît avec toutes ses prétentions dans notre musique à programme. Entre les mains de Liszt et des disciples, grands et petits, qui s’engagent dans cette voie, la symphonie tourne au poème symphonique (Symphonische Dichtung). Les péripéties ne s’expliquent plus par elles-mêmes ; elles nécessitent un commentaire qui annonce ce que la musique va représenter. Qu’on ne s’y méprenne pas : pour grands que soient les moyens qu’elle emploie et la netteté d’expression à laquelle elle atteint, cette musique descriptive n’en reste pas moins primitive et comme en marge de la musique, précisément parce qu’elle ne s’explique point par elle-même. Et quand ce sont des musiciens de second ordre qui la

  1. Les débuts de la musique descriptive mériteraient une étude spéciale. Il s’agirait de réunir tout le matériel en question, ce qui n’a pas encore été fait.