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dirigeai près de dix ans, la Concordia, produisit bon nombre de Cantates, le Magnificat, la Matthäus-Passion etc… Plusieurs autres sociétés chorales se sont formées depuis, dans le même but.

Si le Maître d’Eisenach est aujourd’hui populaire dans le monde artistique Parisien, ce n’est pas sans quelques secrètes affinités de race, sans quelques raisons d’assez proche consanguinité. Nous savons qu’il a été fort épris de notre art, fort admiratif des Grigny, Dieupart, Couperin, dont il faisait copier les œuvres à ses élèves. Oui, certes, son esprit reste très allemand, mais peut-on nier dans la forme, l’influence des maîtres Français ou Italiens ? Le fait est si vrai que j’en trouve une curieuse constatation dans cette lettre de Zelter à Goethe, datée du 5 avril 1827 :

« Le vieux Bach avec toute son originalité, fils de son pays et de son temps, n’a pas su échapper à l’influence des Français, notamment à celle de Couperin. On veut se montrer aimable (gefällig erweisen), il en résulte des œuvres qui ne sauraient rester telles qu’on les produit. Heureusement, il n’y a qu’à enlever ces « amabilités, ces couches de légère dorure », et la vraie valeur apparaît aussitôt. C’est ainsi que j’ai arrangé, pour mon usage propre, beaucoup de Cantates, et mon cœur me dit que de là-haut, le vieux Bach m’approuve par un signe de tête, comme autrefois le bon Haydn : « Oui… c’est bien ! »

Ô candeur ! Le signe de tête, nous le voyons d’ici : rouge de colère, Bach saisit sa perruque et la lui jette au nez : « Ah, tu te permets de gratter ma musique, attends un peu… ! »

Zelter pouvait être un bon pédagogue, mais un artiste, non. Ce qu’il admirait du Cantor de St  Thomas c’était l’extraordinaire technique ; quant au reste, il était loin d’en soupçonner la véritable grandeur.

Aujourd’hui le monde entier admire Bach précisément parce que, tout en restant fidèle à ses origines, tout en gar-