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un tempérament spécial joignant la fougue suprême de la passion à la plus haute maîtrise de la voix et du chant. Du vivant du maître et de son propre aveu, Schnorr seul y avait atteint. Mais il faut tenir compte à l’éminent acteur de l’an dernier de ses efforts pour soutenir ce rôle écrasant et de quelques beaux effets obtenus notamment dans la lutte des chanteurs à la Wartbourg et dans le récit de la malédiction du pape au troisième acte.

Quelques mots d’abord sur l’étonnante scène du début dont la désignation usuelle de « ballet du Venusberg » ne peut donner une idée. Sauf quelques détails, qui auraient peut-être exigé un mécanisme plus ingénieux, comme l’arrivée des Amours, je crois bien qu’à la direction de Bayreuth revient la gloire d’avoir rendu pour la première fois cette prodigieuse pantomime selon les intentions du maître. Car, songeons-y bien, ici Wagner a eu l’audace de vouloir reproduire une orgie antique dans toute sa fougue, dans toute sa hardiesse et dans toute sa grandeur ; mais, en même temps, il a voulu créer un tableau scénique qui, par ses fines nuances, ses gradations savantes et son énergie terrible, nous donnât, sous forme d’une représentation plastique, la psychologie intime de la volupté. On sait que ce ballet fut composé pour les représentations de Paris. D’un style plus avancé que le reste de l’œuvre, il constitue à lui seul un poème mimique accompagné d’une symphonie qui surpasse l’ouverture en intensité. Heureuse gageure du génie ! On croirait que Wagner s’est dit : « Puisqu’il vous faut absolument un ballet, je m’en vais vous en faire un plus audacieux, plus luxuriant, plus effréné que tous vos ballets à l’eau de rose. Il vous entraînera jusqu’au vertige ; mais, en même temps, il aura un sens, non puéril et banal, mais profond et symbolique. J’apaiserai les forces que j’aurai déchaînées, et vous resterez sous le charme d’un noble enchantement. Ce sera à la fois le triomphe de la danse et la rédemption du ballet. » On peut affirmer que l’art de Bayreuth a, pour la première fois, réalisé cette fête de séduction. L’arrivée des Bacchantes et de leurs compa-