Page:Schumann - Lettres choisies (1827–1840), 1909.djvu/92

Cette page n’a pas encore été corrigée

journal quotidien dans lequel ils inscrivent leurs sentiments fugitifs : il lui confie les variations de son humeur et — d’après mon simple jugement — son cœur, entièrement rempli par la musique, écrit des notes comme d’autres écrivent des mots. Il y a déjà des années que j’ai commencé une esthétique de l’art musical : elle était assez avancée, lorsque je me rendis compte que les opinions personnelles me faisaient défaut — et, encore plus, l’objectivité, — si bien que je recueillais, tout bonnement, de-ci, de-là, ce que d’autres avaient dénaturé sans s’en s’être rendu compte. Si vous saviez à quel point je suis intérieurement oppressé et angoissé en pensant que je pourrais imprimer « op. 100 » sur mes symphonies, si je les avais écrites ; combien je me sens à l’aise en face d’un orchestre complet, et comme je serais de force à tenir tête à mes ennemis, à les diriger, à les dompter et à les faire reculer ! J’ai peu de fierté, moins par parti-pris général que suivant les circonstances : j’affecte d’être fier devant les gens qui le méritent — mais souvent, je suis tellement au pouvoir de la musique qui domine mon être, qu’il ne m’est pas possible d’écrire, et que j’en arrive à être d’une humeur telle qu’un jour, un critique d’art me disant : « Je ferais mieux de ne pas écrire, car je ne produis pas », je lui partis d’un éclat de rire au nez, en lui disant qu’il n’y comprenait rien !

Maintenant, des prières et rien que des prières ! la première, la plus instante, est : « Répondez-moi. »Et la seconde, non moins instante, est : « le plus tôt possible. » Vive Dieu ! vos lettres sont ici pour moi, ce que me sont à Leipzig, les concerts dont je suis privé. Vous avez eu Paganini à Leipzig, et vous l’avez