livre qui était tombé à terre. Marguerite reprit le livre
de la main gauche (j’avais tout juste eu le temps
d’entrevoir quelques images, sans distinguer pourtant
ce qu’elles représentaient), elle saisit l’instrument
de sa main droite et se remit à lire avec une
si grande attention que moi aussi je tentais de lire le
titre, que je ne pouvais voir qu’à l’envers. Elle promenait
le livre lentement de haut en bas et sans cesser
sa lecture se grattait parfois les cheveux. Ses
yeux luisaient, ils semblaient absorber les images du
livre. Enfin elle trouva le passage intéressant et son
attention redoubla, tandis que sa langue jouait de
temps en temps sur le bord de ses lèvres rouges et
bien dessinées, et Marguerite soupirait délicieusement.
Elle tenait toujours l’instrument que je ne
voyais presque plus, étant données nos positions réciproques.
Puis elle le remit dans le rayon de mon
regard et elle semblait maintenant tenir en main un
jouet dont elle se servait avec toujours plus d’entrain,
de fièvre, jusqu’à ce que le livre tombât par terre.
Elle fermait les yeux et les rouvrait pour les refermer
aussitôt. Ses mouvements des paupières et de la tête
se précipitaient. Son corps se pâmait. Elle se mordait
violemment les lèvres comme pour étouffer un cri
qui l’aurait trahie. L’instant suprême approchait. Je
vis qu’elle se raidissait comme quelqu’un qu’un grand
danger menace et qui, voulant vivre à tout prix, se
prépare à résister. Ainsi, elle resta immobile, profondément
émue. Enfin, ses yeux s’ouvrirent. Elle fit
un effort comme quelqu’un que la fatigue contraint
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L’ŒUVRE DES CONTEURS ALLEMANDS