Page:Schröder-Devrient - L’Œuvre des Conteurs Allemands - Mémoires d’une chanteuse Allemande, 1913.djvu/192

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


189
MÉMOIRES D’UNE CHANTEUSE ALLEMANDE

Arpard n’avait encore jamais vu une femme. Il tremblait de tout le corps. Il s’agenouilla devant moi et se mit à baiser chaque endroit de mon corps avec des paroles doucement murmurées et ferventes comme une prière, comme ces lentes prières des moines de l’Inde qui, réunis en collèges, prient des heures durant en une sorte de bruissement fait de paroles indistinctes, assez semblable aux rumeurs de certains insectes. Enfin je lui échappai et je sautai dans l’eau. Je me mis à nager avec vigueur. Arpard ne nageait qu’avec une main. Il m’étreignait de l’autre. Parfois, il plongeait. Sa tête bouclée entrait dans l’eau, puis reparaissait comme celle d’un charmant dieu aquatique, d’un nain mignon, gardien des trésors mythiques. Nous reprîmes bientôt pied. L’eau était moins profonde. Nos désirs nous jetèrent dans les bras l’un de l’autre et je reçus résignée les douces caresses qui, je le sentais, auraient pu facilement me détruire. Cependant, je ne pensai pas un seul instant aux suites possibles de mon abandon. Si j’avais vu un poignard entre ses mains, j’aurais offert ma poitrine à ses coups. Comme il était inexpérimenté, la crise était là avant qu’il eût commencé à me dire son amour, et il resta un moment muet dans la belle nuit, sans savoir que dire ni que faire. Mais il ne perdit pas courage. Il m’étreignit plus fort. Il haletait, ses doigts se crispaient dans ma chair. Il me disait en mots entrecoupés la douceur et la violence de cet amour qu’il voulait me donner une fois pour toutes, c’est-à-dire qu’il serait l’unique de sa vie, et, sans le croire, je me