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L’ŒUVRE DES CONTEURS ALLEMANDS

« J’ai perdu toute envie de jouir ; non parce que je suis déjà épuisée, mais par dégoût, disait-elle. Quand on pense ou quand on lit jusqu’où peut vous pousser cette espèce de jouissance, l’on n’en a plus envie. L’eau est froide, puis tiède, puis bouillante. L’on s’enfonce dans des bourbiers pour disparaître enfin dans des cloaques remplis de vers immondes. Vous l’apprendriez bientôt, si vous vous aventuriez dans cette voie. J’ai été mariée au plus grand libertin que l’on puisse imaginer. Ces débauches l’ont tué. C’était une terrible maladie ! Plusieurs maux le rongeaient de son vivant. Il est mort de la tuberculose de la moelle épinière. Il avait, en outre, la syphilis. Son corps n’était qu’une immense plaie, et il perdit la vue. Il n’avait pas encore trente-trois ans. Je l’adorais, j’étais désespérée de l’avoir perdu. Toutes ses maladies l’emportèrent au galop. Il allait tous les jours au bois de Boulogne ; en moins de six mois, il ne pouvait déjà plus bouger. Je le soignais avec une de mes amies ; on devait le servir comme un nourrisson. Savez-vous à qui il devait une fin si épouvantable ? À un être infâme, qui se disait son ami et qui lui mit en main le livre le plus terrible qui ait jamais été écrit : Justine et Juliette ou les Malheurs de la vertu et les Prospérités du vice, du marquis de Sade. On dit que l’auteur est devenu fou par suite de ses débauches et qu’il est mort dans un hospice d’aliénés. M. Duvalin, l’ami de mon mari, prétendait que le marquis de Sade n’était pas devenu fou, mais qu’il s’était enfermé dans un cloître, à Noisy-le-Sec, dans