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s’il n’en veut pas, on n’en commet pas moins. Il faut donc dire de lui ou qu’il est imprévoyant, ou impuissant, ou cruel, puisqu’il ne sait ou qu’il ne peut pas réaliser sa volonté, ou qu’il néglige de le faire[1]. » Ceci explique pourquoi l’on est resté attaché mordicus, jusqu’à nos jours, au dogme du libre arbitre. Cependant tous les penseurs sérieux et sincères, depuis Hobbes jusqu’à moi, l’ont rejeté comme absurde. On n’a qu’à lire à ce sujet mon mémoire couronné Sur le libre arbitre.

Il était d’ailleurs plus facile de brûler Vanini que de le réfuter. C’est ce qu’on fit, après lui avoir au préalable coupé la langue. Mais chacun peut encore le réfuter, et il ne s’agit que d’essayer. Seulement il faut le faire sérieusement, en penseur, et non avec un verbiage vide.

La théorie d’Augustin sur le très grand nombre des pécheurs et sur la quantité infinitésimale des élus, juste en elle-même, se retrouve dans le brahmanisme et le bouddhisme ; mais ici elle ne choque pas, par suite de la métempsycose. En effet, le brahmanisme n’admet l’émancipation finale et le bouddhisme le nirvana (qui sont l’équivalent de notre félicité éternelle), que pour

  1. « Si nollet Deus pessimas ac nefarias in orbe vigere actiones, procul dubio uno nutu extra mundi limites omnia flagitia exterminaret profligaretque : quis enim nostrum divinæ potest resistere voluntati ? quomodo invito Deo patrantur scelera, si in actu quoque peccandi scelestis vires subministrat ? Ad hæc, si contra Dei voluntatem homo labitur, Deus erit inferior homine, qui et adversatur, et prævalet. Hinc deducunt, Deus ita deside. rat hunc mundum qualis est ; si meliorem vellet, meliorem haberet »… « Si Deus vult peccata, igitur facit : si non vult, tamen committuntur ; erit ergo dicendus improvidus, vel impotens, vel crudelis, cum voti sui compos fieri aut nesciat, aut nequeat, aut negligat. » Amphitheatrum mundi, Exercit. XVI.