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moins vu que, au point de vue du progrès de la moralité, leur utilité est en grande partie problématique ; leurs désavantages, au contraire, et surtout les cruautés qui leur font cortège, sautent aux yeux. Naturellement, la chose devient toute différente, si nous envisageons l’utilité des religions comme support des trônes. Quand ceux-ci sont octroyés « par la grâce de Dieu », l’autel et le trône sont étroitement associés. Aussi tout prince sage, qui aime son trône et sa famille, marchera-t-il toujours à la tête de son peuple comme un modèle de vraie religiosité. Machiavel lui-même, au chapitre xviii du Prince, la recommande instamment aux gouvernants. On pourrait ajouter encore que les religions révélées sont à la philosophie ce que les souverains par la grâce de Dieu sont à la souveraineté du peuple ; et ainsi les deux premiers termes du parallèle se trouveraient naturellement d’accord.

Démophèle. — Oh ! n’attaque pas cette corde. Songe que tu soufflerais ainsi dans la trompette de l’ochlocratie et de l’anarchie, ces ennemies acharnées de tout ordre légal, de toute civilisation et de toute humanité.

Philalèthe. — Tu as raison. C’étaient là des sophismes, ou ce que les maîtres d’armes nomment des feintes. Je retire donc ce que j’ai dit. Mais vois combien la discussion peut rendre parfois injuste et méchant un homme honnête. Brisons donc là.

Démophèle. — Je regrette, après toute la peine que j’ai prise, de n’avoir pu changer tes idées au sujet de la religion. Mais je l’affirme aussi, en revanche, que toutes tes allégations n’ont nullement ébranlé ma conviction de la haute valeur et de la nécessité de cette même religion.