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ment sur l’autorité, les miracles et la révélation, ne conviennent qu’à l’enfance de l’humanité. Or, chacun conviendra qu’une race qui, d’après la concordance de tous les faits physiques et historiques, ne compte guère comme durée d’existence que cent fois la vie d’un homme de soixante ans, se trouve encore dans la première enfance.

Démophèle. — Oh ! si au lieu de prophétiser avec une satisfaction non dissimulée la chute du christianisme, tu prenais la peine de considérer quelle infinie reconnaissance l’humanité européenne doit à cette religion, qui la suivit tardivement hors de sa véritable et antique patrie, l’Orient ! L’Europe reçut d’elle une tendance qui lui était jusque-là étrangère, en admettant cette vérité fondamentale que la vie ne peut pas être son propre but à elle-même, et que le vrai but de notre existence se trouve au delà de celle-ci. Les Grecs et les Romains avaient placé ce but complètement dans la vie même, de sorte que, à ce point de vue, on peut les qualifier de païens aveugles. En conséquence, toutes leurs vertus se ramènent au bien de la communauté, à l’utile, et Aristote dit très naïvement : « Les vertus les plus grandes doivent être nécessairement celles qui sont le plus utiles à d’autres » (Rhétorique, livre I, chap. x.) C’est ainsi que l’amour de la patrie est pour les anciens la vertu par excellence. Or, cet amour de la patrie est fort sujet à caution, puisqu’il est fait en grande partie d’étroitesse d’esprit, de préjugés, de vanité et d’égoïsme bien compris. Tout à côté du passage cité, Aristote énumère l’ensemble des vertus, pour les étudier ensuite une à une. Ce sont : la justice, le courage, la modération, la magnificence