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un remède. Écoute ce passage de Condorcet (Des progrès de l’esprit humain, chap. v), qui semble écrit pour servir d’avertissement à notre époque : « Le zèle religieux des philosophes et des grands n’était qu’une dévotion politique ; et toute religion qu’on se permet de défendre comme une croyance qu’il est utile de laisser au peuple, ne peut plus espérer qu’une agonie plus ou moins prolongée. » Dans le cours entier des faits que j’ai décrits, tu peux toujours observer que la foi et le savoir se comportent mutuellement comme les deux plateaux d’une balance : à mesure que l’un monte, l’autre descend. Cette balance est même si délicate, qu’elle indique jusqu’aux influences momentanées. Ainsi, par exemple, quand, au commencement de ce siècle, les déprédations des hordes françaises, sous leur chef Buonaparte, et les grands efforts faits ensuite pour chasser et châtier cette racaille, eurent amené un relâchement temporaire de la science et un certain décroissement des connaissances générales, l’Église recommença aussitôt à relever la tête, et la foi à revivre d’une vie qui, ajoutons-le, conformément au caractère du siècle, était en partie seulement de nature poétique. Par contre, dans les trente années et plus de paix qui suivirent, les loisirs et le bien-être développèrent la culture des sciences et l’extension des connaissances à un rare degré ; d’où cette conséquence indiquée, que la religion menace ruine. Peut-être même est-il proche, le moment si souvent prophétisé où la religion disparaîtra du milieu européen, comme une nourrice dont les soins sont désormais inutiles à l’enfant livré aux leçons d’un précepteur. Car il est hors de doute que des doctrines de foi basées unique-