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et le pape est le lieutenant de Dieu. Son ascendant étant le plus grand, il prétendait que tous les trônes fussent regardés comme de simples fiefs octroyés par son bon vouloir. De la même façon aussi les archevêques et les évêques eurent en cette qualité une autorité temporelle, comme ils ont aujourd’hui encore, en Angleterre, droit d’entrée et de vote dans la Chambre des lords. Les princes protestants sont, comme tels, les chefs de leur Église ; en Angleterre, il y a quelques années, c’était une jeune fille de dix-huit ans. Par sa rupture avec le pape, la Réforme a ébranlé l’édifice politique européen ; mais elle a surtout détruit, par la suppression de la foi commune, la véritable unité de l’Allemagne, qui, n’existant plus en fait, dut être rétablie plus tard à l’aide de liens artificiels purement politiques. Tu vois donc combien la foi et son unité sont essentiellement connexes à l’ordre social et à l’existence de chaque État. Elle est partout le support des lois et de la constitution, c’est-à-dire le fondement de l’édifice social ; et celui-ci aurait même peine à subsister, s’il ne prêtait pas de poids à l’autorité du gouvernement et à la dignité du chef.

Philalèthe. — Oui, les princes se servent de Dieu comme d’un croquemitaine à l’aide duquel ils envoient coucher les grands enfants, quand tout autre moyen a échoué ; c’est la raison pour laquelle ils tiennent tant à Dieu. Très bien. En attendant, je conseillerai à chaque chef d’État de lire attentivement, deux fois par an, à jour fixe, le chapitre xve du livre Ier de Samuel ; de cette façon il se rappellerait toujours la signification de ces mots : appuyer le trône sur l’autel. De plus, depuis que l’ultima ratio theologorum, le bûcher, a